Magazine Culture

(Note de lecture) Pierre Dhainaut et Ramzi Ghotbaldin, Le messager des arbres, par Philippe Fumery

Par Florence Trocmé


Le messager des arbres.

Dhainaut-le-messager-des-arbres
« Le messager des arbres » est le titre du récent recueil de Pierre Dhainaut, mais c’est aussi le titre que le poète donne à Ramzi Ghotbaldin, le peintre des arbres. Ce recueil est le fruit de leur collaboration. Une bonne trentaine de toiles sont reproduites ici, parmi un ensemble présenté au printemps dans la galerie « Papiers d’Art », rue Pastourelle à Paris. Cet ouvrage est aussi le catalogue de cette exposition.
La rencontre entre le poète dunkerquois et le peintre d’origine kurde, qui s’est fixé en France, relève d’un de ces rapprochements qui semblent improbables, et pourtant ce qui les réunit devient une évidence : une passion commune pour l’arbre, une même attention dans le regard, l’écoute, le geste. Pour Pierre Dhainaut, cette attirance est ancienne, un seul titre pourrait en témoigner, paru quarante ans plus tôt : « En un mot, l’arbre ». L’échange se construit au fil des pages et des toiles, car « tout se passe ici dans le temps le long / de la route ou du fleuve auprès des arbres ». 12

Les titres des toiles parlent d’espèces : platane, noyer, olivier, lilas, sapin. Une page rappelle les arbres familiers au poète : hêtre, érable, frêne. Le nom de l’arbre n’est pas un nom commun. Ce sont bien des noms qu’ils portent, noms « sacrés » que la mémoire n’efface pas et que l’on récite « comme en prière ». 14
Ramzi Ghotbaldin présente d’autres toiles selon les lieux qui les accueillent, qui les magnifient : « hauteurs, traversée, clairières, sentier ». Pierre Dhainaut reprend la proposition : « ils ne se montrent pas, tu ne les vois / que dans l’espace heureux qu’ils rendent / visible, vibrant, l’aura perpétuelle ». 16
Certaines toiles se réfèrent aux saisons, comme si celles-ci permettaient de créer de nouvelles espèces : « fleurs d’automne, lilas d’été, arbres de printemps ». Pierre Dhainaut enrichit cette nouvelle proposition : « ils ne jugent pas les saisons hostiles / propices, ils les agrandissent / en secret comme ils se ramifient ». 40
Si Ramzi Ghotbaldin est le messager des arbres, alors qu’ont-ils à nous dire ? Que nous apprennent-ils de nous, de nos jours et de nos nuits ? Pierre Dhainaut pose les questions à la manière d’une toile de Gauguin : « Nous n’avons pas fini, d’où venons-nous ? où irons-nous ? ». Pour lui il s’agit « de questions d’arbres, avant tout », 50. Il le dit encore sans ambages : « Il faut tout demander aux arbres / pudiques, prodigues, ils font mieux que répondre ». 18
Ramzi Ghotbaldin a un parcours personnel qui, depuis le Kurdistan jusqu’en Dordogne, a intégré la guerre, l’exil et toutes les turpitudes qu’on peine à imaginer. Cette histoire fait écrire à Pierre Dhainaut des mots d’un registre plus inhabituel : « on se dit que tout fuit », « les yeux sont en exil », « aller, errer ou se disséminer », « en résistant à la torture », « ils ont pris sur eux toute la souffrance ». Pour toutes ces raisons sans doute, et s’il fallait en donner, le poète nous demande respect et bienveillance, dans un vers comme sorti du Décalogue : « Tu ne blesseras aucun arbre, n’inscris rien / sur l’écorce, pas plus de lettres que de dates ». 22. « Qu’est-ce que la patience ? », cette question est entendue par les arbres, qui la reprennent à leur compte. La démarche aboutit à la formation de ce « nous », cette communauté à laquelle chacun aspire, poète, peintre, promeneur, habitant ou migrant.
Le peintre était présent à la galerie, lors d’une soirée de présentation, le vendredi 10 juin 2022. Isabelle Lévesque a lu les poèmes de Pierre Dhainaut qui n’avait pu venir à Paris. Ce moment nous permet de rapporter les mots de Ramzi. Il a parlé de son parcours où se mêlent, dit-il pudiquement, bonheur et tristesse, toujours. Et surtout de son bonheur de peindre, cet art de mélanger les couleurs ; de pouvoir prendre ce temps-là. Il a dit son émerveillement devant les arbres, ou une chapelle en Dordogne, un bâtiment ou un monument. Il a aimé les poèmes de Pierre, soulignant le fait que, dans ce qui est donné à lire, aucun mot ne domine.
Philippe Fumery

Pierre Dhainaut et Ramzi Ghotbaldin, Le messager des arbres, éditions L’herbe qui tremble – galerie Papiers d’art, 2022, 73 pages, 20 euros.
Extraits :
page 14.
Un arbre, il suffit d’un arbre, les voici par groupes,
les noms ne s’oublient pas, leurs noms
sacrés à tous les âges, et toi qui les récites
comme en prière, hêtres, érables, frênes,
et d’autres, tant d’autres, tu fais retentir
la sonorité commune :
à l’arrêt, dans la marche, la joie
aussi extrême à redire « arbres »,
à ranimer l’air, à le partager.
Page 22.

Tu ne blesseras aucun arbre, n’inscris rien
sur l’écorce, pas plus de lettres que de dates,
touche-les d’une main aussi légère
que des mots avant que jaillisse
dans le dialogue éternel une première phrase,
ils t’entendront  et tu les entendras poursuivre :
qu’est-ce que la patience ? tu ne sais pas
ce que signifient commencer, finir,
ne pas finir, tu diras « nous » aux arbres.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Florence Trocmé 18683 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines