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(Note de lecture) Jérôme Gontier, Précis du New Look, par Jean-Claude Leroy

Par Florence Trocmé


 
« aller ailleurs, toujours dedans »

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En 2019, Jérôme Gontier publiait un Traité des verticaux tout à fait saisissant, une sorte de regard plutôt loufoque, quoique fort sérieux, sur notre cadre social et son organisation. Une vue certifiant la verticalité de tout horizon, un résumé de ce mouvement descendant de haut en bas qui règle le monde. On s’y sentait comme dans la célèbre série Les Shadoks ou comme dans certains voyages de Henri Michaux, en moins pittoresque et en plus théorique. Et aussi en plus glaçant, l’époque ne se prêtant pas naturellement au sourire (mais laquelle fut si souriante ?).
Avec Précis du New Look, ce n’est plus d’un relevé d’observation (fût-il de veine fantastique) qu’il s’agit, mais bien d’un « aveu de système », ce n’est pas aux mœurs ni même au mécanisme que Gontier s’en prend, mais à l’articulation de cette économie de mots et de flux, de marchandise/matière et d’apparence/(in)vraisemblance.
Avec un brin d’ironie et quelques marqueurs d’époque (l’usage de la langue anglaise comme rappel de l’Empire rendu nécessaire), Jérôme Gontier nous croque un paysage qui se voudrait le nôtre à force d’insistance. Il en joue comme il écrit, avec la furtivité qui convient à cette société-ersatz, où rien n’est prévu pour s’asseoir et réfléchir ou contempler. En ce monde où seule l’apparence (le look) sert de support à l’existence des innombrables winner d’un jour ou d’une saison, il faut bien quelques railleries de temps à autre pour lui dire son fait. Jérôme Gontier s’en est chargé à sa façon, lapidaire, grinçante, sans appel.
C’est là une machine-miroir qui ne fait pas plaisir à voir, un texte à système comme dénonciateur du système qui nous enferme, ou aussi bien une démonstration de réalisme, comme on voudra. Pas une poésie intuitive ou surprenante. Ni contemplation ni émotivité, une froideur implacable qui ne lâche rien. Et cependant, glissé en passant, un vieux cri du cœur : « l’amour peut tout ».
Oui, attaque frontale du système lui-même, avec les mots qu’il faut, éventuellement empruntés à, et retournés contre. Rien de revendicatif là-dedans, le temps des attentes est dépassé de loin, l’auteur de ce Précis rapporte les clefs d’une guerre sordide à laquelle nous sommes condamnés (depuis toujours).
« J’ai passé le stade de la protestation. Tout ceci n’est pas de la philosophie mais de la guerre. »
Dénoncer l’enfermement ou la frontière du « tout inclus » ne pouvait se faire qu’avec la sécheresse apparente d’un précis qui n’est pas de décomposition, mais de simple apparence faussement nouvelle, le bluff du new look. Un changement perpétuel à la surface, « donner juste le change » pour que rien ne change vraiment, sauf un verrouillage toujours plus efficace des corps et des affects.
« Le machin où nous sommes possède les moyens de ses fins. »
Nulle évasion n’est possible, on ne parle de liberté qu’à l’intérieur d’une contrainte imperturbable. L’auteur nous invite ici à vérifier où les verrous sont placés et à ne pas se leurrer d’un quelconque dehors. Les lendemains ne pourront chanter puisqu’ils sont déjà là sans avoir lieu, et nos âges n’ont plus d’importance. Ce n’est certes pas un hasard si « on tire des coups de feu sur les horloges de Paris ».
« Pour asseoir son Pouvoir sur quelque chose qui saura valoriser ses formes, le Système où nous sommes & qu’on est a inventé une chose en caoutchouc qu’il a appelée Démocratie ©.

Cela lui a pris du temps jusqu’à trouver l’assise rêvée.
Ensuite, en vertu de son côté Moloch factory unlimited le système s’est mis en peine de distribuer le modèle un peu partout où il voulait régner, c’est-à-dire partout vers l’infini.
 »
Jean-Claude Leroy
Jérôme Gontier, Précis de new look, éditions Dernier Télégramme, 2022, 80 p., 11 €


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