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Sneakers,

Par Tobie @tobie_nathan

Des larmes d’arbre au bout des pieds

Plus urbaines que les baskets, ces chaussures ont conquis la planète sans faire de bruit. Mais leurs semelles de caoutchouc, autrefois issu de la sève de l’hévéa, leur permettent-elles d’entamer la longue marche vers un monde plus vert ?

Sneakers,Article paru dans Philosophie Magazine n°161 juillet 2022

Des sneakers, il en existe des centaines de modèles ! Voire des milliers… C’est même le type de chaussures le plus vendu en France. En 2021, les sneakers représentaient 47 % du marché de la chaussure – plus de 9 milliards d’euros de chiffre d’affaires ! Et ce marché progresse régulièrement, de 5 % par an depuis dix ans. Bientôt, il dépassera les 50 %. D’où vient cet irrésistible attrait pour ces cousines moins sportives et plus urbaines des baskets ?

Peut-être de leur nom. Sneakers vient du verbe anglais to sneak, « se faufiler », « se glisser sans faire de bruit »… Autrement dit : « chaussures furtives », comme on parle d’« avion furtif », rendu invisible aux radars ennemis. C’est en tout cas l’une des fonctions des sneakers qui permettent non seulement de marcher presque silencieusement grâce à leurs semelles de caoutchouc mais aussi de paraître « comme tout le monde ». Fini les chaussures ringardes, démodées, mal cirées, qui désignaient au premier coup d’œil la classe sociale de celui qui les portait. Tennis pour tout le monde, du rappeur de banlieue à la coquette des beaux quartiers, et personne ne sortira du lot ! La mode est si souvent dictée par la crainte du ridicule…

Mais il est tout aussi possible que le succès des sneakers provienne de la matière dont sont constituées leurs semelles, le fameux caoutchouc. La substance de base, le latex, est extraite en entaillant le tronc des hévéas. Le mot caoutchouc tire sa racine de cao, « bois » en quechua, une langue du Pérou, et de tchu, « qui pleure ». Caotchu, c’est donc l’« arbre qui pleure ». On porte donc des membranes faites de larmes d’arbre. On a commencé par en faire des imperméables – les premiers, les Mackintosh –, des gants pour les chirurgiens, des préservatifs – toujours en latex – mais aussi des combinaisons sexy – le catsuit de Michelle Pfeiffer jouant Catwoman – et… des semelles pour protéger le frêle épiderme de nos pieds.

Sneakers,

L’arbre a toujours été perçu comme un protecteur.

Mettre des sneakers, ce serait ainsi se fondre dans l’environnement. Ce qui était sans doute le cas autrefois, au début du XXe siècle, mais, aujourd’hui, le caoutchouc est issu, pour près des deux tiers, de l’industrie pétrochimique, polluante et peu respectueuse de la planète. Si bien que la mode se tourne de plus en plus vers des sneakers recyclables, faites de matières premières a priori plus écoresponsables – polyester recyclé, cuir sans plomb, coton bio, pulpe de bois… –, acquises dans le cadre de commerces équitables et produites dans des usines aux standards sociaux élevés. Les grandes marques ont toutes leurs modèles « verts », par exemple la nouvelle collection de Nike appelée Move to Zero – « en marche vers le zéro », sous-entendu « vers le zéro pollution » –, et de nouvelles enseignes apparaissent, comme la Française Veja. Il semble qu’après avoir si longtemps fait pleurer les arbres, on essaie maintenant de consoler la Terre…

On se souvient qu’Adonis, né d’un arbre, personnifiait le parfum pour les Grecs de l’Antiquité. Et tout particulièrement la myrrhe, une résine extraite, comme le caoutchouc, en entaillant l’écorce. Marilyn Monroe laissait entendre que le parfum, lui aussi larmes d’arbre, pouvait constituer une enveloppe pour la peau, elle qui avait répondu à Georges Belmont, rédacteur en chef de Marie-Claire qui l’interrogeait sur ce qu’elle mettait pour dormir (pyjama ? chemise de nuit ?) : « Trois gouttes de Chanel n° 5. » S’habiller des larmes d’un arbre peut aussi avoir un charme fou !

À lire
Métamorphoses 
d’Ovide (édition récente : Les Belles Lettres, 2019) et Les Jardins d’Adonis de Marcel Détienne (1972 ; dernière édition, Gallimard, 2013).

—> Article paru dans Philosophie Magazine n°161 juillet 2022


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