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(Anthologie permanente), István Kemény, Nil et autres poèmes

Par Florence Trocmé


Nil_et_autres_poemes_kemeny_istvan_coverRumeurs éditions a publié récemment Nil et autres poèmes, un ensemble du poète István Kemény traduit du hongrois par Guillaume Métayer.
Chanson d'herbivores
Apprivoisé jusqu'à l'invraisemblable  
je vis dans mon troupeau de la Bulgarie à la Normandie,  
broute de la liberté sèche  
dans une savane illuminée,  
et trouve normal d'être chassé.
Je comprends le lion, le léopard,
tolère le crocodile, la hyène.
Lorsque l'on m'ouvre le gosier,
je regarde patiemment, un peu angoissé,
mon sang indigné s'éloigner.
Je ne me plains pas, c'est moi qui l'ai voulu,
c'est plus stable à quatre pattes, l'Europe était une fiction,
et puis la culpabilité et l'attente des barbares,
puis l'autre côté des choses tout le temps,
et les prédateurs ne sont pas heureux eux non plus.
la commission arrive en hélicoptère
la commission s'en va en hélicoptère
plusieurs enquêtes sont en cours dans mon affaire
le soleil se lève seul
le soleil se couche seul.
(p.45)
Növényevők dala
Valószínűtlenre szelídítve
csordában élek Bulgáriától Normandiáig,
száraz szabadságot legelek
a kivilágított szavannán,
és jogosnak érzem, hogy vadásznak rám.
Megértem az oroszlánt, a leopárdot,
tolerálom a krokodilt, a hiénát.
Amikor megnyitják a torkomat,
türelmesen, kissé ijedten nézem,
ahogy méltatlankodva távozik a vérem.
Nem panaszkodom, én akartam így,
négy lábon stabilabb, Európa fikció volt,
na meg a bűntudat meg a barbárokra várás,
meg a dolgok másik oldala folyton,
és a ragadozók sem boldogok.
jön a bizottság helikopterrel
megy a bizottság helikopterrel
több vizsgálat is folyik az ügyemben
felkel a nap egyedül
lenyugszik a nap egyedül.
*
Gergelyiugornya, carte postale
                       Nous vivons en zone inondable, en une étrange grâce.
                       (László Kürti.)
Tout est zone inondable.
Soudain un fleuve
réfléchit, et.
Une date arrive, et.
Un souvenir jaillit, et.
Une sécheresse se termine,
une paire d'yeux s'ouvre,
une réalité se fatigue,
un nonsense
se réveille, reposé, et.
Ça s'obscurcit,
ça s'éclaire.
Au miroir du vin la lune,
au miroir du café le soleil.
(p. 95)
Gergelyiugornya, képeslap

                       ártérben élünk, különös kegyelemben.”
                       (Kürti László)
Minden ártér.
Egyszercsak egy folyó
gondol egyet, és.
Egy dátum eljön, és.
Egy emlék feltör, és.
Egy aszály véget ér,
egy szempár felnyílik,
elfárad egy valóság,
egy nonszensz
pihenten ébred, és.
Besötétedik,
kivilágosul.
Bor tükrén a hold,
kávé tükrén a nap.
István Kemény, Nil et autres poèmes, édition bilingue français-hongrois, traduit du hongrois et préfacé par Guillaume Métayer, Rumeurs éditions,  Collection Centrale / Poésie, 2022, 208 p., 19€
Sur le site de l’éditeur
Avec Nil et autres poèmes, le deuxième recueil français du poète hongrois István Kemény, le lectorat francophone retrouve la voix singulière du grand représentant d’un postmodernisme lyrique et critique des marges intérieures de l’Europe, dont l'imaginaire teinté d’ironie se plaît à recueillir et exalter la profondeur dissonante et émouvante des mythes dans notre quotidien. À côté du récent recueil Nil (2018), publié ici dans son intégralité, des poèmes de plusieurs époques ont été rassemblés dans ce volume, pour faire écho à l’originalité de cette œuvre dans sa variété. (Traduit du hongrois et préfacé par Guillaume Métayer).
(extraits de la préface de Guillaume Métayer)
... Cette poésie de l’allégorie se plaît ... dans l’aporie. Elle affecte ... une forme d’insistance butée, presque obtuse, qui voudrait triompher du scepticisme à l’usure, rendre possible le miracle ... une minute avant qu’il ne survienne... elle s’applique à déjouer les séparations ... pour esquisser des rapports inouïs, non seulement avec l’histoire et le mythe, mais entre des événements considérés comme trop éloignés... Il s’agit, par là, de faire la démonstration d’une autre forme de la compréhension : non plus l’analyse qui divise, mais l’imagination qui relie, jusqu’au plus lointain, et lui donne ainsi sens dans l’ampleur quasi surhumaine, visionnaire de la représentation. La poésie est le lieu de telles rêveries qui pourraient bien s’avérer justes, si elles n’étaient infalsifiables, c’est-à-dire à la fois irréfutables et improuvables. En somme, ces poèmes, dans leur diversité libre de toute école, ne cessent de nouer des interprétations possibles, pour nous donner à comprendre, à penser, à imaginer et à sentir le monde autrement.


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