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(Note de lecture) Robert Bly, La nuit où Abraham appela les étoiles, suivi de Mon verdict fut mille ans de joie, par Jean-Claude Leroy

Par Florence Trocmé

(Note de lecture) Robert Bly, La nuit où Abraham appela les étoiles, suivi de Mon verdict fut mille ans de joie, par Jean-Claude LeroyDans la nouvelle collection Amériques des éditions Le Réalgar, trois titres d'un coup, en guise d'amorce. La réédition d'un livre épuisé en français de Gary Snyder, la publication d'un recueil de David Kirby, et enfin de deux ensembles de Robert Bly datant des années 2000.
Réputé aux États-Unis, Robert Bly (1926-1921) l'est beaucoup moins en France où un seul livre traduit semblait disponible jusqu'alors. Une œuvre impressionnante cependant, pour cet homme de culture, connaisseur des grands textes classiques et sacrés du monde entier, avec une prédilection sans doute pour la poésie chinoise, la Bible, les textes soufis, ou encore pour des auteurs comme William Blake, W. B. Yeats, Walt Whitman, H. D. Thoreau, ou R. M. Rilke ; il a aussi traduit de nombreux auteurs (Rûmî, Hafez, Machado, Ponge, Tranströmer...).
Les deux ensembles ici réunis dans un seul volume sont librement inspirés, pour ce qui est de leur forme, des ghâzals persans, soit des vers réguliers (originellement des distiques), une rythmique donnée, des contraintes de répétition. Mais Bly ne se plie pas à toutes ses exigences, loin de là, il a juste ce format en tête, qui l'aide à enrouler son écriture et à lui conférer cette sorte de patience à dire, presque à réciter, comme si les mots sortaient facilement, sans effet, suivant la piste tracée d'avance. Bly expose les images les plus diverses et les plus éloignées les unes des autres, et c'est par l'amplitude ainsi donnée à ses poèmes qu'il fait apparaître une vie intense, ou du moins un large échantillon des états d'âmes d'un citoyen averti, humain de ce temps, et qui aurait gardé la tête froide.
" L'oiseau peut chanter pendant des heures à travers son bec !
Il picore ses graines avec soin. Mais nous, les fils
De l'oubli, nous mangeons la chair qui est morte en hurlant. " [p. 49]
Mosaïque en rien bariolée, qui n'a pas à être introvertie en quoi que ce soit, cette poésie est ouverte sur le monde, c'est même lui le sujet, dont l'équilibre tient d'un être conscient aux prises avec la sphère improbable qui nous sert de planète. Certes, une poésie de vaste érudition, mais exposée pour tous, dans une sorte de récit fragmenté adressée à qui passe, sans jamais le surplomber ; c'est de ce fait un panoramique presque familier que cette écriture tisse à travers les pages, le livre comme le poème lui-même semble découpé dans un ensemble tellement plus large, entrouvert sur un infini incorporé, mis en parole.
Moins une poésie vécue qu'une poésie mentalisée, savante, peut-être rêvée, issue d'un état contemplatif qui regarde les étoiles comme le quotidien, la banalité comme la pointe de la connaissance. En quelque sorte, la parole tranquille et fataliste d'un " griot " occidental, une parole lucide et rassurante, avec des salutations nombreuses aux amis et aux poètes, des présences nombreuses et salutaires, anonymes ou notoires, comme François d'Assise ou Cézanne, Kierkegaard ou Emily Dickinson, Rimbaud ou Rembrandt, William Blake ou Bahal Shem, Socrate ou Tchekhov.
" [...]
Nous sommes dans une chaloupe au milieu de l'océan
Et nos rames sont brisées. L'eau pénètre par les fentes du bois
Un vieil aveugle nous guide en se fiant aux étoiles
Que ferons-nous des histoires que racontent les vieillards ?
Certains disent qu'un être hirsute plus vieux qu'Adam
A construit une prison à l'intérieur d'un grain de riz
Un seul poil subsistant au menton d'une chèvre suffira
À faire tomber la foudre lors d'une nuit d'orage
Si nous avons oublié le nid dans lequel nous sommes nés. " [p. 87]
Jean-Claude Leroy

*
Robert Bly, La nuit où Abraham appela les étoiles, suivi de Mon verdict fut mille ans de joie, traduit par Christian Garcin, éditions Le Réalgar, coll. Amériques, 2022, 132 p. 18 €.

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