On entre dans le livre comme Elsa Feuillet entre dans l’appartement de Béatrice Blandy, qui n’y est plus mais dont le souvenir hante toutes les pièces. Irons-nous jusqu’à la pièce interdite ? Entrons-nous dans une histoire comme celle de Barbe Bleue, de Charles Perrault ? Ou celle de Rebecca, de Daphné du Maurier ? Je l’avoue, je m’y serais bien laissé prendre. Mais c’est autre chose. L’intrigue, l’appréhension, le malaise qui s’installent n’ont d’autre objet que de distraire notre attention.
Faisons un petit détour. Il y a quelque temps, je présentais dans ce blog un livre intitulé Pouvoirs de la lecture. L’une des questions posées par ce livre est : « Qui lit ? Est-ce ma voix que j'entends ? Est-ce celle de l'auteur.e ? Est-ce celles des personnages ? ». Cette question et ses développements ont sans doute orienté ma lecture.
Dans les jeux qui m’entraînent, dans le plaisir de l’angoisse qui me piège, je n’ai jamais oublié cette question. Et, me demandant qui lit, je me suis demandé qui écrit.
Parce que le texte est nourri, sans doute comme dans de nombreux romans, d’oeuvres antérieures, celles de la littérature parce que l’auteur.e s’inscrit dans le vaste mouvement de la littérature : certain.e.s choisissent de noter les références à la fin de leur ouvrage (ici quelques références musicales au début) ; d’autres empruntent des morceaux, citant ou non leurs sources, sans pour autant pouvoir être taxé.e.s de plagiat ; d’autres ouvrent les guillemets.
Le texte est aussi nourri de la vie même de l’auteur.e. Cela peut aller jusqu’à l’autofiction, qui peut consister à créer un avatar, à mettre son personnage dans telle ou telle situation, et s’en détacher suffisamment pour que d’autres puissent s’y retrouver ou s’y projeter.
La chorégraphe Catherine Diverres affirmait il y a quelques années qu’une oeuvre, ce n’est pas un spectacle puis un autre et encore un autre, mais que c’est la totalité des créations tout au long de la vie. Il en est sans doute de même de l’oeuvre littéraire. Cela ne signifie pas qu’il faille lire systématiquement tous les livres d’un.e auteur.e mais quand cela se présente y trouver son chemin.
Ce titre de Carole Fives, Quelque chose à te dire, est une invitation. J’écoute ce qu’elle a à me dire. Elle me raconte comment on fait un livre, comment on écrit un roman, comment se fabrique la littérature : des éléments autobiographiques (mais ce n’est pas une autobiographie), des références littéraires et/ou artistiques (mais ce n’est pas un traité littéraire ou artistique), et peut-être un peu de ce qu’Aragon nommait le « mentir-vrai ».
J’y lis d’abord ce « te » (« à TE dire ») qui figure dans les plus récents titres de Carole Fives : Une femme au TEléphone, TEnir jusqu’à l’aube, TErébenthine. Elle écrit pour moi, pour chaque personne qui lira ce livre. Elle me met dans la confidence. Et si tel est le cas, je me demande qui a écrit ce livre : Carole Fives, dont le nom ne figure que quatre fois dans l’ouvrage (trois fois en couverture), ou Elsa Feuillet, dont le prénom revient plus souvent que celui de Carole, et qui n’hésite pas à lui emprunter quelques éléments de sa biographie littéraire.
Et j’aime ce jeu-là, cette écriture-là.