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Roberto Juarroz – Trop s’attacher à soi-même…

Par Stéphane Chabrières @schabrieres

Roberto Juarroz – Trop s’attacher à soi-même…Trop s’attacher à soi-même
c’est gaspiller la substance du monde,
abuser de la lumière et de ses reflets,
du libre jeu du regard,
du partage des couleurs
et aussi du cœur des ténèbres.

Peut-être faudrait-il
modérer, réduire l’existence
et retenir le pouvoir d’être soi.
Et que cela nous donne de moins mourir
ou simplement de n’être pas sans fond,
comme de pathétiques outres
qui n’ont pas su contenir leur vin.

Trop s’attacher à soi-même
c’est déranger les figures visibles
et barbouiller les invisibles
du goudron misérable de nos colères.

Il faut s’attacher ailleurs,
là par exemple où les lignes reculent
où les mains se gantent
pour éviter le toucher sans retour.

Ou là, au moins,
où nous sentons comment s’usent
la peau tenace de la pensée,
les sécrétions de tous les amours
et les semelles métaphysiques
de nos ultimes souliers.

Il faut s’attacher ailleurs.

*

Insistir demasiado en sí mismo
es gastar sin sensatez la sustancia del mundo
y abusar de la luz y sus reflejos ,
del prorrateo abierto del mirar,
del reparto de los colores
y también del corazón de las tinieblas.

Tal vez fuera preciso
moderar, recortar el existir
y retener la prepotencia de ser uno.
Y que eso nos permitiese morir menos
o simplemente no quedarnos sin fondo,
como patéticos odres
que no supieron contener su vino.

Insistir demasiado en sí mismo
es trastocar las figuras visibles
y embadurnar las invisibles
con el menguado alquitrán de nuestra furia.

Es preciso insistir en otra parte,
por ejemplo, allí donde las líneas retroceden
y las manos se enguantan
para evitar las manos sin regreso.
O allá, por lo menos,
donde sentimos cómo se desgastan
la piel tenaz del pensamiento,
las secreciones de todos los amores
y las suelas metafísicas
de nuestros últimos zapatos.

Sí. Es preciso insistir en otra parte.

***

Roberto Juarroz (1925-1995)Novena poesía vertical (1987) – Poésie verticale (Fayard, 1989) – Traduit de l’espagnol (Argentine) par Roger Munier.


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