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Aaaahhh, vieillir....

Par Chatperlipopette

"Dimanche 1er Octobre. Une journée comme les autres aux Bégonias, maison de retraite de la banlieue parisienne. Il est 9h15", nous nous trouvons dans l'entrée et commençons à rencontrer les différents pensionnaires, autant de personnages que de galerie de portraits plus amusants et émouvants les uns que les autres.
C'est d'abord un couple qui a rendez-vous avec le directeur pour une place dans la résidence, pour la mère du mari, elle perd un peu la tête; l'épouse est parvenue à faire entendre ses arguments, une longue bataille dont elle voit enfin le bout...elle n'aura plus à supporter une belle-mère qui n'a jamais pu l'encadrer, elle la secrétaire qui s'est faite épouser par son polytechnicien de fils. La maison de retraite a l'air correcte, ce qui rendra les choses moins difficile pour lui. La vengeance serait-elle un plat qui se mange froid? A la décharge de cette épouse, ce n'est que juste retour des choses.
Puis, un trio féminin: Louise Alma, Marthe Buissonnette et Jocelyne Barbier, deux d'entre elles se détestent cordialement, l'autre regarde le monde d'un air amusé et un peu fatigué au crépuscule de la vie. Louise est une dame qui a de la classe, Marthe paraît sèche, pincée et un peu désagréable (voire méchante) tandis que Jocelyne porte son âge, sa faconde, parfois grossière, et ses rondeurs avec jovialité, trop de rires pour que tout soit réel? Les blessures de l'âme, profondes et sombres, se cachent souvent derrière le sourire ou le rictus, Marthe et Jocelyne, deux souffrances secrètes que les nuits solitaires n'apaisent toujours pas.
Il y a Nini, une vieille dame qui crie, éructe des insanités à longueur de temps, qui fume comme un pompier et réclame du coca light à tout bout de champ alors qu'elle préfèrerait un bon verre de vin! Nini qui attend sa petite Camille chaque dimanche, Camille qui éclaire son horizon, Camille qui commence à se lasser des lubies usantes de sa vieille marraine. La vie de Nini n'a pas toujours été triste, elle a bien vécu d'ailleurs, elle a eu une vie bien remplie, elle a été Madame le Juge autrefois, il y a un siècle, dans une autre vie. Elle n'a pas toujours été acariâtre ni pénible jusqu'à ce que son grain de folie ne devienne ingérable au quotidien. Nini les conspuent tous autant qu'ils sont, ces pauvres vieux, ces directeur et infirmières. Seule Josy trouve grâce à ses yeux, Josy l'auxiliaire de vie qui apporte avec elle l'amour de son prochain, l'amour qu'elle donne aux déshérités et à la vieillesse solitaire. Las, Nini à force de hurler et de sonner pour un oui ou pour un non n'est plus écoutée la nuit....Nini solitaire nocturne à qui tout peut arriver.
Le Capitaine Dreyfus est un vieux monsieur qui n'a jamais pris la mer et toujours rêvé de commander un navire. Est-il vraiment aussi à l'ouest qu'il ne le fait croire? Il fait des réserves de pain, tournicote autour d'un bosquet près du grillage, s'agite et délire....pour mieux tromper l'ennemi sans doute. Et si le capitaine rêvait d'une évasion en bonne et due forme?
Madame Destroismaisons, dite "la baronne", perd lentement mais sûrement la mémoire aussi son époux, éternel amoureux de sa femme, prévenant et dévoué, ne peut plus s'en occuper à la maison...à deux pâtés de maisons des Bégonias. La baronne, toujours coquette grâce aux attentions de son époux, s'égare dans ses souvenirs et ses peurs d'autrefois lorsqu'elle recevait son amant du moment. Alphonse boit le calice jusqu'à la lie...l'amour a ses raisons que la raison ignore même au soir d'une vie.
La résidence Les bégonias n'est pas que vide et attente du dimanche, jour des visites, ou du départ vers un au-delà parfois attendu. L'amour peut frapper les coeurs en plein hiver de l'existence, faisant renaître de doux sentiments et de tendres étreintes et donnant une seconde vie aux coeurs solitaires. L'amour à l'âge de la vieillesse illumine les yeux de Thérèse et Robert et bercent leurs nuits. La rébellion peut s'exprimer dans la fusion des coeurs et des corps: rien n'est jamais terminé, tout peut commencer malgré les rides et les blanches chevelures, vieillir ensemble pour renaître à la vie. On suit les regards, les mots doux de ces tourtereaux avec tendresse et émotion: le tourbillon des jours réserve d'intenses surprises!
Que serait une résidence pour personnes âgées sans l'infirmière, la garde de nuit et le directeur? Tout ce petit monde est sous la houlette d'un berger passionné de timbre, un tantinet désarçonné par le décès tenu secret d'une résidente et son attirance envers Christiane,l'infirmière. La pauvre a l'art de tomber sur d'impossibles goujats qui lui foulent aux pieds son pauvre coeur éperdu d'amour. D'ailleurs, le dernier en date, n'est autre que le fils du Capitaine Dreyfus. Les odieux personnages ont souvent les paroles de trop qui sauvent les Christiane des pires situations...et si le directeur était l'homme idéal, vous savez celui que l'on croise tous les matins et qui passe inaperçu jusqu'au jour où l'on ouvre enfin les yeux!
"Nous vieillirons ensemble" est une journée dans une maison de retraite avec ses angoisses, ses rires, ses folies, ses rivalités, ses souffrances, ses souvenirs douloureux, ses révoltes et ses bonheurs inattendus. Des tranches de vie tellement humaines, tellement vraies que l'émotion se rencontre au détour de petites phrases, de petits mots. On rit beaucoup, on a la gorge serrée souvent, on pleure parfois: le ridicule côtoie le cynique, le comique et la tendresse, les grandeurs et bassesses de tout un chacun scandent les heures du jour au fil des différents lieux de la résidence....une résidence mode d'emploi qui fait écho à "une vie mode d'emploi" de Pérec (d'ailleurs, l'auteure met à disposition un plan détaillé des Bégonias et y place les scènes).
La vieillesse ne laisse jamais indifférent: elle est le miroir, souvent redouté de notre proche futur, image que l'on aimerait ne pas avoir à regarder et encore moins à lire. Pourtant, la vie continue avec les mêmes mesquineries et petites méchancetés entre amies, parfois on atteint une relative sérénité, parfois on rencontre un être qui illumine le temps qui reste à partager, parfois on passe à côté de choses simples parce qu'on refuse le reflet du miroir. L'humanité est présente partout dans le récit d'une journée ordinaire d'un groupe de petits vieux attendrissants, drôles et agaçants qui vieillissent ensemble du mieux qu'ils peuvent.
Un livre où le regard tendre et dénué de pathos de l'auteur enveloppe précautionneusement chaque personnage et charme jusqu'au bout le lecteur qui en sort le sourire aux lèvres et les yeux humides.
Pour l'instant, un de mes livres chouchous du Prix Landerneau!
Livre lu dans le cadre du Prix Landerneau




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