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Les Accouchantes nues d’Anne Barbusse

Par Etcetera
Les Accouchantes nues d’Anne BarbusseCouverture chez Unicité

Anne Barbusse avait publié l’année dernière aux éditions Unicité un beau « journal psychiatrique » intitulé Moi la dormante, que j’avais beaucoup aimé.

Elle publie en cette année 2022, toujours aux éditions Unicité, la suite de son récit poétique, écrit à l’hôpital en 2004, intitulé « Les accouchantes nues« . Nous y suivons son parcours de vie, de cœur et de santé au long de ces semaines particulièrement riches sur le plan affectif et émotionnel. Des semaines de mars et d’avril qui voient aussi l’éveil de la nature, l’éclosion des bourgeons et des fleurs, qui trouvent un écho émouvant dans ses pensées.

La poète oscille entre le désespoir et l’exaltation amoureuse, et ressent cycliquement un sentiment d’abandon et d’angoisse – que l’on pourrait se contenter de voir comme purement pathologique si l’on adoptait un regard superficiel – mais que l’on peut aussi considérer comme notre sort commun, la condition de notre vie humaine, que nous devons tous affronter un jour ou l’autre, quelle que soit notre santé psychologique. En effet, Anne Barbusse doit faire face à plusieurs ruptures affectives très douloureuses durant cette hospitalisation psychiatrique et l’attitude autoritaire et restrictive des soignants n’arrange pas toujours les choses. Des deuils difficiles à faire, des désirs inassouvis, se mêlent à un grand sens de la beauté, à l’amour de la nature et à la nécessité vitale de l’écriture, poursuivie envers et contre tout. Et même quand le papier manque ou que le précieux cahier est rendu inaccessible par un cadenas bloqué ou que les soignants intrusifs veulent stopper cette création littéraire, l’écriture reste un secours inlassable et indispensable.
J’ai senti dans ce recueil essentiellement un désir de vivre, d’aimer, de créer, d’exister pleinement et j’ai trouvé cela magnifique !

Note biographique sur la poète

Anne Barbusse est née en 1969 et habite dans un village du Gard. Agrégée de Lettres classiques, elle enseigne le français langue étrangère aux adolescents migrants. Elle écrit depuis longtemps mais n’a commencé à envoyer ses textes que depuis le printemps 2020, pendant le premier confinement. Publications dans des revues en ligne ou papier, un recueil aux éditions Encres vives, Les quatre murs le seau le lit, collection Encres blanches, décembre 2020, et un recueil aux éditions Unicité, Moi la dormante, septembre 2021. (Source : Site de l’éditeur)

Voici quelques extraits

Page 17

Pourquoi Dieu, dans l’épopée biblique, se repose-t-il le septième jour d’avoir créé le monde ? La création est-elle chose si fatigante ? N’est-ce pas plutôt pour signifier la nécessité du repos, de reposer son corps sur le monde, d’y trouver l’habitation sûre, poser ses membres sur la terre, s’y loger dans l’étroitesse ouverte de la maison-habitation ?
Je ne supporte pas cette fierté du dieu biblique à avoir créé le monde. Trop de souffrances. L’artiste n’est jamais satisfait de sa création. Le dieu serait la perfection, preuve qu’il n’existe pas. Et la femme n’a été créée qu’à partir de l’homme, dans la grande dépendance. Le colporteur, l’aède ou l’écrivant de cette Bible était un homme qui, soit n’avait rien compris à l’être-distinct qu’est la femme, soit voulait signifier justement cette dépendance. Mais ne vaut-elle pas dans l’autre sens ? Donc je penche pour la première solution. Une belle histoire certes, mais trop d’assurance, comme dans toute épopée. Que peut en tirer notre univers empli d’hésitation ? Le dieu trouve que le monde est bien fait et justifie trop de souffrance.

Pages 98-99

pluie
pluie
enfin un accord
ma parole accordée à la pluie

pluie
le monde m’écoute
consolation
enfin

après la pluie je ne suis plus toute seule
l’accompagnée de l’eau tombante
des flaques et des gouttes
– monde que j’accepte
apaisée
d’être rejointe

là où tu fais défaut
vient la pluie
quand visiteras-tu la malade de toi

grosses gouttes dit-elle
comme gros chagrin
disent les enfants
– enfants et fous dans le dire réel

tu ne cesses plus de m’abandonner
l’effondrement s’allonge dans la durée blessée
tu ne cesses plus de me signifier
que tu te dérobes – et la pluie
tombe

Page 109

Etrange cette idée que dorénavant je peux livrer mon corps à n’importe qui puisque tu le dédaignes. Peut-être parce que livré au mépris. Volonté de salir, de souiller ce corps dont tu ne veux plus. Ou de le punir de ne pas t’avoir plu. Ne peux me passer du désir. Je suis désirée donc je suis. Dans la ronde des désirs. Des désirs tournant dans les airs. Que les draps sont froids sans tes bras. Pourquoi ne suis-je pas assez jolie ?


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