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(Note de lecture), James Sacré, Une rencontre continuée, par Aubin Gady

Par Florence Trocmé


James Sacré  une rencontre continuée« Le temps d’avant continué / Comme à côté » (p.160) : dans Une rencontre continuée se retrouvent en effet des textes, des collaborations artistiques, des amitiés littéraires. Le recueil, dédié à Yvon Vey, rassemble plusieurs dessins de ce dernier et des textes ici en prose, ici en vers libre, dont le plus ancien a été publié pour la première fois en 1972. À la fin du recueil figure aussi une riche « Carte d’identité poétique », très précieuse pour parcourir le recueil autant que pour aborder le reste des œuvres de James Sacré.
Si l’on veut chercher un fil conducteur dans ce texte, c’est peut-être vers le regard qu’il faut se tourner. Dès les premiers poèmes, des images reviennent : un tas de patates ou des cailloux « comme les dents d’un sourire ». Plus loin, les mots de James Sacré accompagnent une série de photographies de Bernard Abadie (non reproduite) : des tissus photographiés à Venise, à Paris, en Pologne, qui rappellent au poète la toile défraîchie d’un chapiteau aux États-Unis ou « Les draps mis dans le vent [qui] mouvementaient le ciel » (p. 63) en Vendée. Poésie du mouvement et en mouvement, donc, qui fait apparaître les correspondances sensibles d’un lieu à un autre tout en affirmant la puissance du réel « là devant » (p. 110).
C’est que James Sacré sait bien raconter l’expérience du monde, au plus près des choses. Voilà qu’on peut sentir dans la main le poids de ce caillou ; on imagine sans peine les brindilles accrochées à ces deux morceaux de dentelle trouvés sur un buisson, « Ni étendus par terre, ni vraiment mis dans le vent » (p. 67). Dans « Comme un tuyau (avec un paysage en regard) », le poète raconte la maison d’Yvon Vey dans la sud de la France avec de longs paragraphes en prose sans autre ponctuation qu’un point final. Presque en un seul souffle, James Sacré décrit une « bouillée de fenouil », l’alkékenge, les murettes, quelques toits, tout cela formant « comme une grammaire agréablement précise » que « le cœur (ou le regard, un poème) parcourt avec plaisir » (p. 42). 
L’oralité du style de James Sacré participe de cette impression de spontanéité : on y retrouve le pronom « ça » (« ça reste »), les élisions, les « à cause que ». Et puis ce sont les mots du patois vendéen, barne, boulites ; et charaban – une voiture à cheval – qui n’est pas mentionné dans les dictionnaires de référence. Lire le poème, le lire peut-être même à voix haute, c’est le faire sonner un peu, encore, ce mot que « tout l’monde abandonne » (p. 167). Dans le recueil, on fait aussi avec James Sacré l’expérience de l’écriture, parfois laborieuse, pénible. La difficulté à avancer devient matière poétique, dans un travail d’une grande réflexivité et plein d’humilité : « Et surtout pardon / De m’être illusionné sans doute ou peut-être d’avoir triché / Pour ce que j’ai cru mettre dedans » (p. 128).
Les derniers poèmes, inédits, suggèrent encore le passage du temps : les visages se défont peu à peu ; par la fenêtre d’une voiture, on aperçoit tout juste « un arbre solitude » ou une chapelle en ruine, envahie par les ronces et une décharge sauvage. Que reste-t-il, à la fin, dans ce recueil ? La puissance d’être du réel, une ténacité des choses, sans doute. Peut-être les photographies rangées dans un tiroir, comme les poèmes dans un livre fermé, se taisent-elles. Mais malgré tout : « On voit, on ne voit plus. Quand même il y a. / Il y a toujours. » (p. 180).
« Il y a parfois dans le paysage un arbre seul
Avec autour des étendues d’herbe
Ou des terres qu’on vient peut-être de labourer.
Plus solitaire encore quand il se trouve perdu
Dans une longue pente cultivée ou pas.
On ne sait pas
S’il est un reste de forêt disparue
Ou s’il a toujours été cette solitude.
Né là par accident ; qu’on a laissé grandir.
Bruit de ce mot, grandir
Qui ferait maintenant briller (tu voudrais le croire)
L’espace écrit de ce poème
Autour d’un arbre qui lui échappe. » (p. 159)
Aubin Gady
James Sacré, Une rencontre continuée, préface de Bernard Chambaz, Le Castor Astral, 2022, 200 p., 9€


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