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Victor Serge – Constellation des frères morts

Par Stéphane Chabrières @schabrieres

Victor Serge – Constellation des frères mortsAndré qui fut tué à Riga,
Dario qui fut tué en Espagne,
Boris dont j’ai pansé les plaies,
Boris dont j’ai fermé les yeux.

Cher compagnon de chambrée,
David, mort sans savoir pourquoi
dans un doux verger de France –
David, ta souffrance étonnée,
– six balles pour un coeur de vingt ans…

Karl dont j’ai reconnu les ongles
quand vous étiez déjà de terre,
Vous, front d’une si haute pensée,
ah ! que faisait de vous la mort !
Ce noir et dur sarment humain.

Le nord, la lame, l’océan
chavirent la barque, les Quatre, blêmes,
boivent l’angoisse à long traits,
adieu Paris, adieu, vous autres,
adieu la vie, ah, nom de Dieu !

Vassili, par nos minuits blancs,
vous aviez l’âme d’un combattant
de Shang-Haï,
et votre tombe, le vent l’efface
et Armavir, dans le maïs.

Honk-Kong s’allume, heure des buildings,
la palme ressemble au cimetière,
le square ressemble au cimetière,
le soir est torride et tu meurs,
Nguyen, sur ton lit de prison.
Et vous, mes frères décapités,
les égarés, les sans-pardon,
les massacrés, René, Raymond,
coupables, mais non point reniés.

Ô pluie d’étoiles dans les ténèbres,
constellation des frères morts !

Je vous dois mon plus noir silence,
ma fermeté, mon indulgence
pour tous ces jours qui semblent vides,
ce qui me reste de fierté
pour un brasier dans un désert.

Mais que se fasse le silence
sur les hautes figures de proue !
L’ardent périple continue,
le cap est de bonne espérance…

À quand ton tour, à quand le mien ?
Le cap est de bonne espérance.

1935

***

Victor Serge (1890-1947)


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