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(Note de lecture), Michel Crépu, Only Rock & Roll, par Isabelle Baladine Howald

Par Florence Trocmé

(Note de lecture), Michel Crépu, Only Rock & Roll, par Isabelle Baladine HowaldOn peut avoir été directeur de la Revue des Deux Mondes, rédacteur en chef de la NRF, avoir écrit sur Bossuet, Chateaubriand, Sainte-Beuve ou Beckett (et là est peut-être la clef, mais oui !), et aimer passionnément les Stones. Qui ? Les Rolling Stones !
Sir Mick Jagger et ses acolytes, Sir Mick anobli par une reine ma foi assez rock'n roll, en tout cas bien plus que ne le laissait supposer sa réserve apparente : " Elle n'écoute pas mais elle est d'accord sur le fond. Mais qu'on la laisse tranquille, la saison de la chasse aux faucons commence. " Le ton est donné, il y a ceux qui comprennent le rock, comme la reine et ceux qui n'y comprennent rien, comme de Gaulle. La clef ? C'est l'humour, Michel Crépu pense que contrairement aux idées reçues, la reine en avait (comme elle rigole quand le prince Philip se déguise en garde !) et de Gaulle non. Ne pas se prendre soi-même au sérieux mais faire le job.
Michel Crépu publie donc, chez Arlea, Only rock & roll, livre assez peu nostalgique (un peu quand même, comment faire autrement...) et très amoureux. Bien sûr il égrène des souvenirs de concert, les partages entre groupies, l'écoute des disques, il vous étourdit de titres et il évoque la mythologie entourant le groupe (sex, drugs...) mais là n'est pas le plus marquant. Il a simplement compris l'essence du groupe, de ce groupe-là, et c'est la même que celle de la poésie, à savoir raconte Michel Crépu : " quand on demande à Mick Jagger son secret, il répond : 'j'y vais c'est tout' ". Même pas peur. Même pas de virgule entre " j'y vais " et " c'est tout ". Il fait donc un bond, un de ses fameux bonds.
La poésie c'est pareil, il faut juste y aller.
Il y a aussi les coups de griffe de Michel Crépu: aux Beatles en premier, plus sages et surtout à ce pauvre John Lennon rendu zen (sous emprise dirait-on aujourd'hui) par une japonaise un peu spéciale, il y a aussi un petit coup à Barthes le " précautionneux " (même si on l'aimait aussi pour ça...) ou à Crosby, Stills and Nash " avec ses guitares grosses comme des armoires normandes "!!! Dylan aussi, un peu trop biblique...
Il y a quelque chose que les Stones ont compris il y a un moment - en dehors d'avoir eu la chance d'avoir des organismes costauds... - : pour durer, il faut " tout déchaîner sans perdre de vue un certain principe de sagesse qui seule permet la continuité ", donc on met son peignoir après le concert et on va dormir. Mick est un cas " Il joue vingt ans dans soixante dix, ce n'est pas si simple à concevoir mais c'est un fait. " Pour suivre les pierres qui roulent et surtout la plus rapide d'entre elles, il faut tenir la route. Le rock dit Michel Crépu " c'est le samedi soir ", un samedi soir endiablé, qui vous ébouriffe pour la semaine.
Entre temps Mick cherche sa baguette de pain en Touraine, Keith Richards lit des poèmes anciens, Charlie Watts fait semblant d'être mort, Ron Wood reste le discret, (après Brian Jones, Ian Stewart, Bill Wyman ou Mick Taylor en étoiles filantes). Pour durer, il faut savoir lever le pied.
Ce livre est comme la photo d'une époque, ne serait-ce qu'à travers la langue qui émaille le texte, de nombreux mots anglais qui n'étaient pas encore du tout cette langue vide qui traîne dans la publicité, tellement vide que la traduction figure en dessous, non, tout au contraire une langue qui représentait la liberté et pas la prison langagière commerciale.
Je partage avec Michel Crépu l'amour des oxymores, c'est d'entre deux pierres entrechoquées que jaillit l'étincelle, là que se fait le bond, là qu'on allume le feu, comme disait Johnny. " Pourquoi vont-ils plus vite et pourquoi sommes-nous si lents ? " Toute la question est toujours là : la vitesse, la course, le bond. Comme le Joyce de Finnegan'sWake dit Michel Crépu ! Ou Winnie dans la jarre de Beckett, cet oiseau !
Ce livre est vif, drôle, tout simplement. On se rend compte en le lisant qu'au fond, on ne vieillit pas, c'est juste le corps, mais pour le reste on est toujours prêt à se briser les os dans un rock furieux, à voir Nietzsche ou la Chine en petit dans des fumées bizarres (je parle pour moi) ou à se perdre dans les bras d'un(e) inconnu(e) sur Angie.
Mick dit : " tu me prends pour un artiste mais je ne suis pas un artiste. J'y vais c'est tout. "
Quand Sir Mick mourra, on allumera le feu.
Et lui sautera par-dessus les flammes.
Isabelle Baladine Howald
Michel Crépu, Only rock & roll, Arlea, collection La rencontre, 2022, 152 p., 16€
" Quelque part dans un carnet écrit, j'ai noté : " Tant que les Stones sont là, je ne suis pas vieux. Quelle alchimie rend cela possible ? De quelle transmission s'agit-il ? Je pense à l'air doux de fin juin quand les roadies finissent de régler un éclairage. Ce ne sera pas long maintenant. Tout le monde est là, un roadie revient une dernière fois placer une serviette épongée sur l'ampli du fond, ainsi qu'un jus de fruit me semble-t-il...
...Quel visage, pour les Stones, dans deux cents ans ? Regardés par qui ? Le visible sera-t-il encore là ? Rien n'est moins sûr. Le visible, vous dites ? Rien n'est moins sûr. L'iconographie du rock a été la dernière fête du visage qu'on ait pu voir. "


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