Magazine Beaux Arts

Un appel téléphonique au milieu de la nuit

Par Abdesselam Bougedrawi @abdesselam
UN APPEL TÉLÉPHONIQUE AU MILIEU DE LA NUIT

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Il y a de cela très longtemps, lorsque j’étais jeune interne dans un hôpital parisien, je fus confronté à un événement qui, bien qu’ils soit des plus anodins, m’a énormément marqué. À l’époque, je travaillais et j’habitais dans cet hôpital, un des plus célèbres de Paris. Il me semble important de vous décrire le bâtiment où ces événements se sont passés.

À côté de l’hôpital très moderne, il y avait un bâtiment assez ancien, mal entretenu sans pour autant être vétuste. On l’appelait la salle de garde des médecins.

Au rez-de-chaussée, il y avait un local pour les pharmaciens. Au premier étage, restaurant pour tous les médecins. Ils viennent pour le déjeuner, le soir c’est le dîner réservé à ceux qui sont de garde. Mais, également, aux résidents du second étage.

Au second étage, il y avait une dizaine de chambres réservées aux internes, en général maghrébins. Si mes souvenirs sont bons, j’occupais la chambre numéro 8. Elle était un peu vétuste, l’unique douche était en bout de couloir. Toutes les chambres n’étaient pas occupées, en général on en réservait 2 pour les médecins qui viennent à Paris pour des congrès. Là, également, des médecins issus du Maghreb. C’est donc dans cet endroit où j’habitais et où je prenais tous mes repas.

Au premier étage il y avait un cagibi très lugubre qui comportait un téléphone très ancien. Il était réservé aux appels d’urgence, au cas où on a besoin d’un médecin rapidement.

Je crois que ce devait être un mois de novembre, lorsqu’un Tunisien, professeur de médecine, arriva pour un congrès à Paris. Un congrès de gastro-entérologie. C’est donc naturellement qu’on lui octroya une chambre, voisine de la mienne. Il devait avoir les 32 ans, impeccablement habillé, très poli. Nous avons très vite sympathisé dès le premier jour, comme c’est souvent le cas des Maghrébins.

Je l’ai invité à passer quelques moments avec moi dans ma chambre. Le lendemain, j’étais occupé par mon travail aux urgences, tandis que lui par son congrès. Nous nous sommes retrouvés le soir dans ma chambre pour discuter.

Je vis qu’il avait l’air triste et malheureux. Je lui ai demandé quelle était la raison de son état. Je lui ai posé cette question tout naturellement, comme si nous étions de vieux et anciens amis. C’est une chose qui est très fréquente entre maghrébins.

Il m’apprit qu’il était marié depuis quelques années, qu’il avait 2 enfants en bas âge et que leur absence l’attristait. Pour le dire plus simplement, bien qu’il ne soit là que depuis deux jours, et que le congrès ne durerait que 10 jours, ses enfants lui manquaient énormément. Il était bien perplexe comme s’il regrettait de les avoir quittés, même pour une petite période. Il m’a demandé mon avis que je lui ai donné de façon franche et sincère. J’ai commencé par lui poser la question suivante : est-ce que ce congrès à Paris est important pour sa carrière. Il m’a répondu que non.

Je lui ai alors dit : si ce congrès n’est pas important, tu devrais alors retourner chez toi le plus rapidement possible pour voir tes enfants. C’est le plus important. Plus important que tous les congrès de ce monde.

Il ne m’a rien dit, nous avons poursuivi notre discussion sur des sujets bien banals.

Le lendemain, un autre jour de labeur recommençait. À la fin de la journée, je n’ai pas vu mon ami professeur tunisien. Probablement était-il retenu par son congrès.

Il devait être 22h30 lorsque le téléphone sonna dans ce lugubre cagibi. Je décrochai, c’était la voix de mon ami de quelques jours. Il m’apprit qu’il était à l’aéroport pour prendre l’avion pour revenir chez lui en Tunisie. Il avait interrompu son séjour à Paris, abandonné le congrès pour retrouver ses enfants.

Cet événement, bien banal, m’avait beaucoup ému et marqué, c’est la raison pour laquelle j’en parle après toutes ces décennies.

Dans un cas pareil où un homme quitte sa famille pour un congrès d’une durée de 10 jours, l’unique conseil à lui donner eût été le suivant :

Mon cher ami, tu devrais t’armer de courage et agir en homme, tu dois rester à Paris pour le congrès. 10 jours ce n’est rien et tu auras tout le temps de revoir tes enfants et de passer de bons moments avec eux.

Pourtant, ce n’est pas le conseil que je lui ai donné. Je n’ai jamais pensé que le fait de rester pour un congrès était un acte de courage. Le vrai courage consiste, justement, à retourner chez soi, plaquant tout pour passer des moments précieux avec ses enfants. Ces moments de rencontre avec sa famille sont faits du renoncement. Ils prennent, alors, subitement une ampleur qui restera gravée tant dans le cœur du père que celui des enfants. C’est là, me semble-t-il, des moments qui comptent dans la vie plus que tous les congrès, aussi merveilleux soient-ils.

Il arrive que dans la vie d’un homme ou d’une femme, une voie de la grâce s’ouvre de façon fugace et furtive dans l’immensité de l’univers. Il faut juste savoir répondre à cette grâce et emprunter cette voie qui ne s’ouvre, probablement, qu’une seule fois dans la vie. Ce jour-là, mon ami tunisien, gastro-entérologue, l’a emprunté.

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