Un choix de poèmes inédits ou parus dans les recueils "Mémoire cash" (Gros Textes, 2020) et "Hermes baby" (La boucherie littéraire, 2021).
ÉQUINOXE
l'équinoxe
de ta vie
est cet instant
unique
précis et fugace
où tu as une égale
quantité de temps
devant toi
et derrière toi
où le passé
pèse le même poids
que le futur
à la seconde près
si autour de l'axe
de cet équinoxe
on retournait ton futur
sur ton passé
ils coïncideraient
comme les 2 pans
d'un drap
rigoureusement plié
par le milieu
mais au milieu du chemin de la vie
évoqué par Dante
au premier vers de La Divine Comédie
tu ne sais pas que tu es parvenu
à ce point exact
et que tu viens de franchir
la ligne médiane
tes jours sont comptés
mais le compteur reste
invisible
tu ne peux effectuer le compte
à rebours
cette incertitude sur la durée
de l'existence
est un cadeau
de la providence
car imagine
le reste de ta vie
dans le couloir de la mort
du condamné à mort
attendant le jour fixé
pour son exécution
ce serait pire que la perspective
de la rentrée
qui te gâche
la seconde moitié
des vacances
*
TONKIN
j'ai vécu quelques mois
à Villeurbanne en 1970
dans le quartier du Tonkin
près de la place Rivière
où se tenait alors
le marché aux puces
un ami de mon père
m'avait loué une petite baraque
coincée entre 2 autres similaires
avec un jardin
à l'arrière
une sorte de bungalow
rudimentaire et délabré une bicoque
de plain-pied et sans étage
promise à une proche
démolition
juste 2 pièces en enfilade
une cuisine une chambre
et une cave très humide
à laquelle on accédait
par une trappe dans le plancher
je pouvais pisser dans l'évier
de la cuisine
pour le reste il fallait
traverser le jardin
pour gagner une cabane en planches
qui faisait office de cabinet
je ne me souviens plus
de l'adresse exacte
et je ne saurais la retrouver
la baraque a été rasée
par les bulldozers
et la rue elle-même
qui s'appelait je crois
rue Charles-Lyonnet
a disparu
le quartier ayant été entièrement
redessiné
dans une vaste opération
de rénovation urbaine
je suis donc incapable de localiser
l'endroit précis où je demeurais
ni d'effectuer le moindre
pèlerinage
mis à part des souvenirs
et de vagues images mentales
il ne me reste rien de ce séjour
dans l'ancien Tonkin
aucun courrier
aucune quittance
aucune facture
attestant de ma présence
en ces lieux
et de la présence même
de ces lieux
c'est à se demander si tout cela
a bien existé
j'en suis moi-même réduit
à me croire
sur parole
*
TCL
le bus 26 au départ de Perrache
avait pour terminus
le campus
de La Doua une ligne régulière
traversant la ville en diagonale
un trajet durant environ 3
quarts d'heure
si ma mémoire est bonne
c'était avant le tramway
et même avant le métro
qui était alors en travaux
c'est dire que je vous propose
un voyage dans le temps
plus que dans l'espace
et si l'on consulte aujourd'hui le site
des Transports en Commun Lyonnais
3 w point tcl point fr
on voit que la nouvelle ligne C26
allant de Saint-Priest à Lyon-8e
ne suit plus l'ancien itinéraire
assuré désormais par la ligne T1
du tramway qui dessert
les stations de Perrache et La Doua
cette expérience est donc impossible
à revivre
comme la plupart des choses
du passé d'ailleurs le temps
est un enterrement
*
AMIE
ma première bagnole
achetée d'occasion sur le marché
aux puces de Villeurbanne
s'appelait AMI 6
une berline 3 CV CITROËN
à la carrosserie bleu clair
piquée de points de rouille
(et je ne parlerai pas de ses vices cachés)
sa lunette arrière
avait une pente inversée
ce qui donnait de profil
un Z
du plus mauvais effet
mais je ne veux pas commettre
un délit de faciès
envers celle qui fut l'amie
passagère de ma jeunesse
*
debout sur le quai venté
de la gare de Mâcon-Loché
attendant le TGV 6960 de 7 h 36 pour Paris
près du repère W
où s'arrêtera la voiture 17
je vérifie encore une fois dans ma poche
la présence du billet de train
des tickets de métro
rendez-vous à 10 heures au Café des 2 Magots
te revoir si tout se passe bien
je confie mon sort
aux entreprises de transport
à la SNCF à la RATP
*
il me dit je n'ai jamais pu
me résoudre à tutoyer Dieu
car enfant on m'avait appris
à vouvoyer le Seigneur
Notre Père qui êtes aux cieux
Que votre nom soit sanctifié
la réforme liturgique date de 1966
ça fait un bail mais rien à faire
c'est un peu comme ma mère
qui comptait encore en anciens francs
après le passage au nouveau franc
quand le pli est pris
dès l'origine impossible
de le défaire la prière
est gravée dans la pierre
*
les boutiques ferment les unes
après les autres
dans la petite cité
de caractère
qui se paupérise au fil des ans
sur la vitrine
de la mercerie de la rue des Remparts
un panneau pas-de-porte à céder
et juste au-dessous
l'avis qu'un verre de l'amitié sera servi
le dernier samedi du mois
jour de la fermeture
définitive à ses clients fidèles
une façon de leur dire
merci
une façon de leur dire
adieu
*
Un choix de poèmes inédits ou parus dans les recueils "Mémoire cash" (Gros Textes, 2020) et "Hermes baby" (La boucherie littéraire, 2021).
ÉQUINOXE
l'équinoxe
de ta vie
est cet instant
unique
précis et fugace
où tu as une égale
quantité de temps
devant toi
et derrière toi
où le passé
pèse le même poids
que le futur
à la seconde près
si autour de l'axe
de cet équinoxe
on retournait ton futur
sur ton passé
ils coïncideraient
comme les 2 pans
d'un drap
rigoureusement plié
par le milieu
mais au milieu du chemin de la vie
évoqué par Dante
au premier vers de La Divine Comédie
tu ne sais pas que tu es parvenu
à ce point exact
et que tu viens de franchir
la ligne médiane
tes jours sont comptés
mais le compteur reste
invisible
tu ne peux effectuer le compte
à rebours
cette incertitude sur la durée
de l'existence
est un cadeau
de la providence
car imagine
le reste de ta vie
dans le couloir de la mort
du condamné à mort
attendant le jour fixé
pour son exécution
ce serait pire que la perspective
de la rentrée
qui te gâche
la seconde moitié
des vacances
*
TONKIN
j'ai vécu quelques mois
à Villeurbanne en 1970
dans le quartier du Tonkin
près de la place Rivière
où se tenait alors
le marché aux puces
un ami de mon père
m'avait loué une petite baraque
coincée entre 2 autres similaires
avec un jardin
à l'arrière
une sorte de bungalow
rudimentaire et délabré une bicoque
de plain-pied et sans étage
promise à une proche
démolition
juste 2 pièces en enfilade
une cuisine une chambre
et une cave très humide
à laquelle on accédait
par une trappe dans le plancher
je pouvais pisser dans l'évier
de la cuisine
pour le reste il fallait
traverser le jardin
pour gagner une cabane en planches
qui faisait office de cabinet
je ne me souviens plus
de l'adresse exacte
et je ne saurais la retrouver
la baraque a été rasée
par les bulldozers
et la rue elle-même
qui s'appelait je crois
rue Charles-Lyonnet
a disparu
le quartier ayant été entièrement
redessiné
dans une vaste opération
de rénovation urbaine
je suis donc incapable de localiser
l'endroit précis où je demeurais
ni d'effectuer le moindre
pèlerinage
mis à part des souvenirs
et de vagues images mentales
il ne me reste rien de ce séjour
dans l'ancien Tonkin
aucun courrier
aucune quittance
aucune facture
attestant de ma présence
en ces lieux
et de la présence même
de ces lieux
c'est à se demander si tout cela
a bien existé
j'en suis moi-même réduit
à me croire
sur parole
*
TCL
le bus 26 au départ de Perrache
avait pour terminus
le campus
de La Doua une ligne régulière
traversant la ville en diagonale
un trajet durant environ 3
quarts d'heure
si ma mémoire est bonne
c'était avant le tramway
et même avant le métro
qui était alors en travaux
c'est dire que je vous propose
un voyage dans le temps
plus que dans l'espace
et si l'on consulte aujourd'hui le site
des Transports en Commun Lyonnais
3 w point tcl point fr
on voit que la nouvelle ligne C26
allant de Saint-Priest à Lyon-8e
ne suit plus l'ancien itinéraire
assuré désormais par la ligne T1
du tramway qui dessert
les stations de Perrache et La Doua
cette expérience est donc impossible
à revivre
comme la plupart des choses
du passé d'ailleurs le temps
est un enterrement
*
AMIE
ma première bagnole
achetée d'occasion sur le marché
aux puces de Villeurbanne
s'appelait AMI 6
une berline 3 CV CITROËN
à la carrosserie bleu clair
piquée de points de rouille
(et je ne parlerai pas de ses vices cachés)
sa lunette arrière
avait une pente inversée
ce qui donnait de profil
un Z
du plus mauvais effet
mais je ne veux pas commettre
un délit de faciès
envers celle qui fut l'amie
passagère de ma jeunesse
*
debout sur le quai venté
de la gare de Mâcon-Loché
attendant le TGV 6960 de 7 h 36 pour Paris
près du repère W
où s'arrêtera la voiture 17
je vérifie encore une fois dans ma poche
la présence du billet de train
des tickets de métro
rendez-vous à 10 heures au Café des 2 Magots
te revoir si tout se passe bien
je confie mon sort
aux entreprises de transport
à la SNCF à la RATP
*
il me dit je n'ai jamais pu
me résoudre à tutoyer Dieu
car enfant on m'avait appris
à vouvoyer le Seigneur
Notre Père qui êtes aux cieux
Que votre nom soit sanctifié
la réforme liturgique date de 1966
ça fait un bail mais rien à faire
c'est un peu comme ma mère
qui comptait encore en anciens francs
après le passage au nouveau franc
quand le pli est pris
dès l'origine impossible
de le défaire la prière
est gravée dans la pierre
*
les boutiques ferment les unes
après les autres
dans la petite cité
de caractère
qui se paupérise au fil des ans
sur la vitrine
de la mercerie de la rue des Remparts
un panneau pas-de-porte à céder
et juste au-dessous
l'avis qu'un verre de l'amitié sera servi
le dernier samedi du mois
jour de la fermeture
définitive à ses clients fidèles
une façon de leur dire
merci
une façon de leur dire
adieu
*