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(Note de lecture) Pierre Dhainaut, A portée d'un oui, par Sylvie Fabre G.

Par Florence Trocmé


(Note de lecture) Pierre Dhainaut, A portée d'un oui, par Sylvie Fabre G.

L’opus que publie en cet automne Pierre Dhainaut aux éditions Les lieux-dits s’inscrit dans un nouveau cycle où l’auteur, confronté au temps qui passe, aux épreuves de la maladie et aux incertitudes de sa quête, qu’elles soient personnelles ou collectives, cherche le chemin « d’un oui » définitif à la vie à travers l’expérience de la poésie. Ce « oui », affirme le poète, trouve racine dans le don qui « n’a pas de fin », don d’être ici, une fois pour toujours, don d’aimer et d’écrire qu’une même soif de sens relie et qu’un visage ou un poème peut, chacun à sa manière, étancher. Préoccupations métaphysique et langagière accompagnent le passage dans la conscience de la mort, elles traversent le recueil, mais jamais de façon abstraite. Pierre Dhainaut réfléchit comme il écrit, en poète qui approche le mystère et sait qu’il ne sera pas entièrement dévoilé : « tu ne sais, mais tu sais … ». Et c’est peut-être la raison qui l’amène encore et encore à tracer « la ligne au-delà de la ligne » dans ces vers.  
Avancée vers un consentement éclairé, le recueil, structuré en trois parties, propose un parcours au lecteur dont chaque étape a sa métrique et son rythme propres, son approche singulière. L’unité se fait à travers sa thématique et l’emploi permanent du vers libre, grâce aussi à la tonalité si reconnaissable d’une voix au lyrisme discret qui déroule sur la page une méditation habitée du réel.  
La première partie qui donne son titre à l’ensemble est la plus longue. Elle propose 16 poèmes aux vers compacts et de longueur assez semblable. Trois vers détachés et mis en italiques en orientent la lecture. Demain, c’est maintenant, et maintenant, répété en anaphore, introduit un monologue intérieur à la deuxième personne. L’auteur, pris « dans les vents hostiles », s’adjoint à lui-même de s’en remettre au poème, à sa voix « plus profonde, plus vaste » que la sienne. Parce que Personne avec le feu des mots « n’est solitaire », se livrer à « l’accord des vocables » est aussi consentir au lâcher-prise, et, comme eux, devenir « de la neige au-dessus des cendres » pour mieux renaître. Débuté dans la transparence, le poème peut alors accéder à la couleur, au Vert pâle des bourgeons, au mauve léger de la glycine, motif central des strophes suivantes. Symbole de beauté précaire et d’invisible parfum, la fleur est synonyme d’enfance et de joie. Elle apparaît ici « grappes » de vie dans sa « gloire ». L’auteur, même s’il « a peur de la fin du livre », n’en remercie pas moins le printemps capable de produire ce « miracle » dont le poème fait résonner la petite éternité en une « syllabe enchantée de trois voyelles ». Beauté de la nomination, « neige »-« glycine » nous fait entrer dans le pur-sentir et le hors temps d’une reconnaissance.
La deuxième partie du livre, intitulée Musique, l’origine, est une suite de trois poèmes plus longs. Ses vers de « gratitude » célèbrent les affinités du poème avec la musique. Un souffle originel relie les deux arts, et donne corps mais aussi âme à la vie. Ce souffle prend le visage d’un enfant, jeune joueur de flûte qui traverse les âges et ressemble au pastoureau des livres anciens. Pierre Dhainaut l’entend un jour dans sa rue à Dunkerque comme il le confie dans une note. Sa musique, il la reçoit comme « signes, présages, paroles/inlassablement reproduites » d’un âge à l’autre. Dans sa pureté, sans cesse réinventée, elle habite aussi la voix du poème. L’auteur introduit alors le parallélisme entre « Foyer de mots, foyers de notes » dont selon lui naît une même brûlure. Splendides éphémères, la musique et la poésie se nourrissent de l’allégement de l’ombre et de la force de la lumière. Contrairement à lui, elles « ne s’effraient pas des fractures » et elles accueillent le grand chant du monde, celui qui vient du cosmos et que l’homme fait entendre depuis les origines, avec la même persévérance. Fasciné par le secret de ce chant, alliance de sons et de silence, résonance d’ombre et de lumière, le poète affirme le lien indissoluble qui unit le verbe à la musique : « nous nous promettons/ … de poursuivre en elle, /il ne peut y avoir d’après. »
La boucle de cette quête se clôt avec Dicté par l’écoute, dernière partie du recueil, suite de tercets aux vers courts, réaffirmant l’ignorance de celui qui écrit mais qui accueille  avec gratitude ce don qui le dépasse, comme l’arbre est dépassé au printemps par sa propre floraison. Le feu de l’écriture consume le poète, flamme fumée et cendre, mais aussi phénix. Si Pierre Dhainaut évoque la blessure « comprise », il ne nie pas l’amour « qui nous reste », ni ne renie sa propre nature de poète. Il en connaît l’écoute, l’élan renouvelé, tout en acceptant la perte et l’infrangible séparation : « de l’air/ pour mémoire, entre les mots/ comme entre nous ».  De l’air aussi pour la circulation des souffles dans cet entre-deux où le nom « visage » restaure une possible présence et un oui à portée, malgré la mort. Epouser son destin de poète et en faire partager les fruits, c’est aussi le but de la collection Cahiers du loup bleu. L’artiste Caroline François-Rubino, qui accompagne avec sensibilité  beaucoup des dernières œuvres de Pierre Dhainaut, dessine le loup bleu de la quatrième de couverture de cet opus. Son loup, tout d’apparition solitaire et de fine intensité, illustre bien la figure du poète, et sa place dans la selva obscura de cette société. Peut-être viendra-t-il cet « âge d’or » du oui quand nous saurons tenir pleinement la promesse de la vie et accueillir la lumière de sa langue. La poésie de Pierre Dhainaut, qui la met à notre portée, nous maintient dans cette espérance.
Sylvie Fabre G.

Pierre Dhainaut, A portée d'un oui, Cahiers du Loup bleu, Dessin de Caroline François-Rubino, Les Lieux-Dits, 2022, 33 pages, 7 euros
Extrait p. 15 :
O neige, à neuf heures, en avril,
dis-le autant de fois qu’il le désire,
ce mot dont la mémoire est si ancienne
en compagnie des voix précaires, toutes-puissantes,
alors que les fleurs se succèdent, à terre,
la terre heureuse : imprègne-toi
de ce qui se donne, qui se perfectionne
en train de fondre, « reconnaissance », diras-tu
à la neige en l’appelant « glycine ».
  
  


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