Cartes de visite à QR Code. Le grand sceau
Avec ce petit carré à « flasher », le cadre décline son identité comme un produit scanné à la caisse du supermarché. Sans se douter que ce procédé renoue avec une longue tradition.
Fini les cartes de visite qu’on nous présentait telle une offrande, ces bouts de carton dont on ne savait que faire, que l’on rangeait dans des boîtes – on ne jette tout de même pas le nom des gens ! – et que l’on finissait par perdre au cours d’un déménagement. De toute façon, on le sait, les personnes avec lesquelles nous restons en lien sont intégrées depuis belle lurette à la liste de contacts de notre smartphone.
Philosophie Magazine n°163 septembre 2022Pourtant, l’objet connaît aujourd’hui une seconde jeunesse avec la carte de visite à QR code intégré. QR code ? C’est issu de l’anglais, bien sûr – quick response code, soit « code à réponse rapide ». Il s’agit d’un carré mystérieux, fait de lignes et de signes, avec des sortes d’yeux, carrés eux aussi, à trois de ses coins. Ce type de code est similaire à celui qui existe sur certains produits achetés dans les grandes surfaces pour faciliter le travail des caissières et qui contient toutes sortes d’informations liées à ces objets. De même, dans votre QR Code sont inscrites vos coordonnées – celles que vous y avez déposées : nom, adresse, téléphone, entreprise, e-mail, lien vers votre site Internet, blog, comptes LinkedIn, Facebook ou Instagram… Vous pouvez aussi y ajouter une photo, un logo, une devise, un poème… Vous tendez votre carte à votre interlocuteur qui n’a plus qu’à la « flasher » avec son smartphone… Et votre fiche est instantanément intégrée à sa liste de contacts. Mieux encore avec la WeCard, certes un peu plus onéreuse : il vous suffit de la présenter devant le smartphone de votre interlocuteur pour qu’il enregistre vos coordonnées, à la manière des lectures « sans contact » permises par votre carte de paiement.
Pour obtenir un tel QR code, rien de plus simple : il n’y a qu’à se rendre sur un site générateur de codes, et l’opération est instantanée ! Une fois votre carré magique téléchargé, il ne vous reste plus qu’à l’intégrer à une carte de visite, à la signature de vos e-mails ou à tout autre support. Certains l’impriment même sur leurs tee-shirts, se transformant ainsi en homme-sandwich de leur identité.
Curieusement, ce QR code ressemble à s’y méprendre aux carrés que produisent les tampons de signature utilisés dans de nombreuses cultures asiatiques – chinoise, coréenne ou japonaise –, là où il n’existe pas de tradition de signature manuscrite, là où, pour authentifier un courrier, on utilise ce que les Japonais appellent inkan (dojang en coréen et xi en chinois), que l’on peut aussi traduire par « sceau » et qui comporte le nom en écriture spécifique.
En 1994, l’inventeur du QR code, l’ingénieur japonais Masahiro Hara, avait certainement les inkan à l’esprit lorsque l’entreprise Denso-Wave l’a chargé d’améliorer la traçabilité des pièces détachées dans les usines Toyota. Ressemblance des formes, mais pas seulement ! Bouleversement de notre perception de l’identité, puisqu’il s’agit de remplacer la signature, l’autographe, propre aux cultures occidentales, et cela depuis le XVe siècle, par un système, enfin universel, lisible par une machine dans le monde entier. Lorsqu’on fait imprimer un QR code sur sa carte de visite, bientôt sans doute sur sa carte d’identité, on accepte d’être classifié, identifié, au même titre qu’une marchandise ou qu’une pièce détachée d’automobile.
Comme chacun le sait, l’animisme est la croyance qu’un esprit anime tant les êtres humains que les êtres vivants, les végétaux, les pierres et les éléments naturels. Cet esprit a maintenant un nom, le QR code, qui contient, exactement de la même façon, l’identité des hommes, des animaux, des choses ou des textes.