Magazine Culture

(Anthologie permanente), Golan Haji, traductions inédites de Jean-René Lassalle

Par Florence Trocmé


Golan couvertureUn nouveau dossier préparé par Jean-René Lassalle avec deux traductions inédites du poète syrien d’origine kurde Golan Haji


Golan Haji original 1
Croissant lunaire

Tu as aminci ta douleur.
En garçon, sur la frontière, tu l’as placée comme une piastre sous les roues d’un train
et une fille que tu aimais l’a portée en collier dans les champs.
Des trafiquants t’ont enseigné à doucement la marteler
dans la nuit avec les maillets des voleurs
et cacher aux autres les empreintes de tes doigts.
Tu l’as effilée par le silence et par les longues marches
jusqu’à ce qu’elle soit transparente et dure
comme un ongle coupé disparu dans le tapis du temps.
Et quand tu l’as retrouvée
elle était devenue lune affamée par l’amour.
Au ciel de ton âme tu la suspendis
et veillas la nuit en solitaire attendant l’appel pour le jour de fête.
Source : Golan Haji, dans Lyrikline.org, 2018. Traduit de l’arabe par Jean-René Lassalle avec les traductions anglaise et allemande et l’original arabe.
Source de l’original (image) : Golan Haji, dans Lyrikline.org, 2018.
Golan Haji original 2
La fin des jours
(d’après Anselm Kiefer)

Un serpent aux yeux couleur de miel avait survécu et raconta ce qui était arrivé :
Dans nos champs brûlés l’Hier me dessina de sa salive, sur un mur charbonneux comme un tableau noir devant des élèves effrayés. Ainsi vous voyiez en moi l’image de mon père, jetant mes derniers sous dans la fontaine de la mort, recousant les boutons de son manteau vert huileux en des sillons de boue, où vous aviez planté des semences arrangées en formes de mots, qui grandirent et fleurirent quand chaude pleuvait la lumière du remords, et de nouveau le sang coula sur les paumes de la terre. Les cannes poussèrent haut telles des peupliers, donc nous les brisâmes pour couvrir d’un toit notre refuge, puis nous avons sauté par-dessus les rivières de nos veines pour nager dans notre premier ciel. Notre langage, avec nos débris l’avons fertilisé. Les montagnes devinrent des têtes sensibles aux poignes du ciel, et les vallées furent joues que nous descendions comme une fonte des glaces : partout où un disparu tombait une fleur inatteignable surgissait, ou c’était une allumette brûlante qui flamboyait avant qu’un écolier puisse l’éteindre y appliquant sa bouche – tandis qu’il se dépêche de finir son devoir sur l’oubli de la peur.
Longtemps nous nous souviendrons de notre condition d’avant cette moisson. Chacun de nous visitera sa propre tombe, avec un fouet sur l’épaule et un couteau ou faucille dans le dos. Le jeu était le temps. Nous avons dit adieu à nos lits détruits par nos rêves. Des parieurs nous ont offert une lune qui s’effritait entre nos doigts. Les rats nous ont donné leurs yeux pour étoiles. La faim enflammait ses soleils sous nos fronts. Des livres non-lus voltigeaient se déposant sur nos plaies. Un grand silence suintait à travers nos bandages. Personne ne prononçait parole. Les points et signes par lesquels nous terminions nos lignes cabriolèrent sur les mots éparpillés, alors les significations changèrent.
Source : Golan Haji, dans Lyrikline.org, 2018. Traduit de l’arabe par Jean-René Lassalle avec les traductions anglaise et allemande et l’original arabe.
Source de l’original (image) : Golan Haji, dans Lyrikline.org, 2018.
Haji portrait
Golan Haji
Golan Haji est un poète syrien d’origine kurde né en 1977. La guerre l’empêche de terminer ses études de médecine à l’université de Damas et il prend le chemin de l’exil. Il écrit en arabe et les cultures qu’il traverse colorent sa langue de différents lexiques. C’est d’abord son enfance kurde puis l’éducation en arabe, ensuite le Liban où il publie son premier recueil, dans une atmosphère de liberté qu’il ne connaissait pas. Il habitera en France et publiera un livre au Danemark et un autre en Italie. Il est aussi traducteur de l’anglais vers l’arabe (du poète américain Mark Strand). Il a édité un livre d’entretiens avec des femmes arabes sur le thème de la guerre en collaboration avec le groupe féministe Estayqazat. D’autre part, il a traduit plusieurs livres poétiques bilingues arabe-français pour enfants. Quelques mots de Golan Haji  (dont les motifs résonnent étrangement avec une autre guerre actuelle) : « Je suis conscient qu’on puisse avoir une vision réductrice d’une littérature de l’exil… Avec le présent dévasté de la Syrie, écrire est comme un bâtiment effondré…J’ai passé ma vie à traduire d’un langage à l’autre jusqu’à ce que je ne sois plus sûr d’aucune langue…La traduction est cruciale pour l’imagination commune et la compréhension entre les êtres humains… »
Bibliographie sélective
بيتي البارد البائد [Ma lointaine patrie glacée], Dar-al Jamal, Beyrouth 2012 (arabe)
L’autunno, qui, è magico e immenso, Il Sirente, Rome 2013 (bilingue arabe-italien)
A Tree Whose Name I Don’t Know, Midsummer Night’s Press, New York 2017 (anglais)
Traduction en français
Deux albums illustrés de la poésie de Golan Haji sont traduits en français par Nathalie Bontemps aux éditions Le Port a jauni, à Marseille : Les Tireurs sportifs (2018), et le bel Arbre dont j’ignore le nom (2020) bilingue arabe-français.
Sitographie :
Ecouter Golan Haji lire en arabe « Croissant lunaire » traduit ici pour Poezibao

Entretien avec Golan Haji en anglais pour la revue Arablit

Création en arabe et français autour d’un livre de Golan Haji avec des encres de Pascale Lefebvre et une musique de Vincent Commaret (descendre un peu et cliquer sur le mp3 sous l’écran vidéo)
Dossier et traductions inédites de Jean-René Lassalle.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Florence Trocmé 18683 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines