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À droite de l'acacia : de la nature réelle de la franc-maçonnerie ? (Stéphane François).

Par Hiram33

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Cet essai porte sur les liens existants entre l'ésotérisme et l'occultisme d'une part et la franc-maçonnerie d'autre part. La franc-maçonnerie, depuis quasiment ses origines, se voit associée à l'ésotérisme. Stéphane François est historien et politologue universitaire. Chercheur associé au CNRS il étudie la société sous l'angle des contre-cultures. Il est également spécialisé dans l'étude des mouvements de droite radicale.

Introduction.

L'auteur de ce livre affirme ne pas être franc-maçon, ni ésotériste, ni occultiste ni partisan de René Guénon. Il estime que la proximité entre la franc-maçonnerie et l'ésotérisme est tout sauf naturelle. Ainsi, la classification de la franc-maçonnerie dans les rayonnages des librairies la rapproche systématiquement de l'ésotérisme et non de la philosophie ou des sciences humaines. La franc-maçonnerie est-elle un mouvement spirituel, un mouvement philosophique ou est-elle de nature religieuse ?

L'ésotérisme est une discipline universitaire nouvelle selon Antoine Faivre. Elle n'a obtenu sa légitimité scientifique qu'entre 1950 et 1970.

Les rapports entre l'ésotérisme traditionnel et ses successeurs, et la notion d'initiation est complexe. L'intérêt récent des universitaires pour la franc-maçonnerie correspond à l'intérêt pour l'ésotérisme occidental. Roger Dachez, qui respecte les règles scientifiques d'analyses historiques, a démonté la mythologie entourant la naissance de la franc-maçonnerie dans un ouvrage intitulé « L'invention de la franc-maçonnerie ». Un autre historien rigoureux, Antoine Faivre, spécialiste de l'ésotérisme, a montré la présence de l'ésotérisme dans les hauts grades maçonniques dès la première moitié du XVIIIe siècle. À la suite de René Guénon, Serge Hutin a voulu développer l'idée que la maçonnerie devait être vue comme une religion des religions.

L'ésotérisme peut être défini comme un monde foisonnant, une forme de pensée selon le mot d'Antoine Faivre, souvent étranger au plus grand nombre. Il peut aussi s'agir d'un ésotérisme traditionnaliste, celui de René Génon ou de Julius Evola. Toutes les significations de l'ésotérisme font que la pensée ésotérique peut être vue comme un « mot autobus » dans lequel montent des gens qui ne se connaissent pas et qui descendront à des haltes différentes sans être mêlés à d'autres voyageurs, au hasard du trajet, n'ayant en commun que la destination.

Chapitre I la place de l'observateur.

Un grand nombre de spécialistes de l'ésotérisme sont influencés par les définitions guénoniennes de l'ésotérisme et de la religion. Ils ont pu aussi être influencés par les débats des conférences Eranos fondée en 1930 par une disciple de la théosophe Alice Bailey. Cela signifie que ces spécialistes ont souvent une approche partisane. Une forte majorité des historiens des religions aux États-Unis sont influencés par les thèses de Mircea Éliade et de René Guénon. A contrario, certains francs-maçons comme Roger Dachez et John Hamill évacuent l'ésotérisme et l'occultisme de la franc-maçonnerie.

Selon René Guénon, la véritable régularité réside essentiellement dans l'orthodoxie maçonnique et cette orthodoxie consiste avant tout à suivre fidèlement la tradition. Il a toujours soutenu l'affiliation existant entre la franc-maçonnerie moderne, spéculative, et la maçonnerie ancienne, médiévale et opérative. Il en a même fait la condition sine qua non de la légitimité traditionnelle de la maçonnerie.

Cette erreur a très largement été reprise par les universitaires pérennialistes et par les francs-maçons eux-mêmes. Roger Dachez estime que René Guénon a contribué à donner aux études symboliques une certaine rigueur et aussi une assise intellectuelle incontestable. Certains universitaires qui ne sont pas franc-maçon insisté sur la nature ésotérique de la franc-maçonnerie (Marie-France James, Mircea Éliade). Cette nature ésotérique est déconstruite par des historiens francs-maçons comme Pierre Mollier et Roger Dachez. Enfin, des ésotéristes et des occultistes contestent la supposée nature ésotérique de la franc-maçonnerie. Le plus connu reste de Julius Evola qui voyait dans la franc-maçonnerie une création moderne et non pas une persistance d'une tradition immémoriale. Même l'occultiste Eliphas Lévi, organisateur du premier occultisme du XIXe siècle, contestait le contenu occultiste de la franc-maçonnerie. Malgré la divulgation en 1730 par Samuel Pritchard des rituels maçonniques, la question du secret est restée capitale dans les milieux maçonniques.

Le mot « ésotérisme » évoque généralement l'idée de connaissances réservées. Émile Poulat estime que l'ésotérisme n'est pas une doctrine d'initiés, mais un mode de pensée accessible à tous dans sa singularité, qui s'explique par l'histoire de la pensée occidentale. Mais la pensée ésotérique peut être vue également comme porteuse d'un savoir différent, alternatif. Jean-Pierre Laurant affirme que la pensée ésotérique développe dans l'histoire des modes spécifiques de transmission où prédominent l'oralité, la relation personnelle de maître à disciple, l'initiation et le secret. Elle s'est développée loin de la culture populaire, dans des filières plus ou moins initiatiques.

Chapitre II l'ésotérisme et l'occultisme.

Selon le chercheur néerlandais Wouter Hanegraaff, l'ésotérisme serait une religiosité syncrétique apparue dans un contexte chrétien et dont les représentants furent chrétiens jusqu'à la fin du XVIIIe siècle. Et de fait, de la Révolution française jusqu'à nos jours, il a existé un véritable ésotérisme chrétien, secret, pour échapper à la réprobation des autorités ecclésiastiques ou affiché pour jouir de sa liberté.

L'ésotérisme doit être vu comme une réponse au désenchantement du monde. Comme le disait Jean-Paul Sartre dans « Situation » Dieu est mort, mais l'homme n'est pas, pour autant, devenu athée. Selon Jean-Pierre Laurant, l'ésotérisme affirme l'unité de la connaissance dans sa dimension spirituelle et l'accès de l'homme à l'absolu dans une démarche de recherche portant sur les correspondances entre l'homme, la nature et le divin. C'est donc en tant que science du divin que l'ésotérisme va poser ses jalons sur les décombres des sociétés traditionnelles laissées par la Révolution. L'ésotérisme va chercher à réunifier la société éclatée depuis la Révolution. Antoine Faivre a défini six caractéristiques fondamentales de l'ésotérisme dont les quatre premières sont une condition nécessaire et suffisante pour définir l'ésotérisme.

-La théorie des correspondances qui existeraient entre toutes les parties de l'univers visible et invisible. C'est la correspondance entre microcosme et macrocosme, entre monde visible et invisible.

-L'idée que la nature est un être vivant que l'on représente aujourd'hui sous le nom d'« hypothèse de Gaïa ».

-L'importance attribuée à l'imagination et aux médiations des êtres surnaturels comme les anges ou les esprits.

-La théorie et l'expérience de la transmutation selon laquelle l'être humain peut se transformer en quelque chose de supérieur et de différent. L'ésotérisme a toujours eu un aspect pratique.

-La pratique de la concordance qui veut trouver des dénominateurs communs entre certaines traditions.

-L'idée de la transmission ininterrompue d'un savoir ésotérique à travers les siècles par initiation de maître à disciple.

Il existe une distinction nette entre ce qui peut être défini comme l'aspect théorique d'un côté (l'ésotérisme) et l'aspect pratique de l'autre (l'occultisme). L'occultisme peut être considéré comme un courant particulier de l'ésotérisme contemporain.

L'occultisme fait référence à une série de pratiques sociologiques comme la création de sociétés secrètes, des pratiques magiques et des rites initiatiques.

En 1963, Robert Ambelain réactivera le rite occultiste de Memphis-Misraïm et le fera reconnaître comme une obédience maçonnique à part entière par les autres obédiences.

Le mot occultisme fut révélé en 1842 dans le Dictionnaire des mots nouveaux de Jean-Baptiste Radonvillers mais ne fut réellement popularisé que par le mage Eliphas Lévi (Alphonse-Louis Constant) dans son livre Dogme et rituel de la haute magie. L'occultisme d'Eliphas Lévi découle de la philosophia occulta développée par Cornelius Agrippa dans son ouvrage intitulé De Occulta Philosophia paru en 1533. La philosophie occulte définit alors l'astrologie, la magie, l'alchimie, la kabbale. Jean-Pierre Laurant explique que l'occultisme a reçu en héritage les sciences occultes telles que la Renaissance les avait pratiquées et les a soumises et au remembrement du savoir postrévolutionnaire rendu nécessaire par le demi -échec des Lumières et le mauvais usage de la raison engendrant les désastres de la guerre. L'occultisme s'est efforcé d'établir sa légitimité comme science des temps nouveaux et comme discipline autonome exercée dans le cadre de groupes semi-publics.

L'âge d'or de l'occultisme a été la seconde moitié du XIXe siècle avec des personnalités comme Eliphas Lévi, Papus (Gérard Encausse), Josephin Péladan, Helena Petrovna Blavatsky. Ces occultistes idéalisaient un passé et édénique. Ils voulaient aller à contre-courant de la sécularisation et du scientisme du XIXe siècle. Les occultistes étaient persuadés que certaines vérités spirituelles devaient rester cachées dans des sanctuaires comme la franc-maçonnerie et les sociétés secrètes à la mode à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle.

C'est à cette époque que le mot tradition va prendre son sens ésotérique et moderne. Il est apparu sous l'influence de la Société Théosophique

Pour désigner une philosophie pérenne élargie aux dimensions de tout l'univers spirituel de l'humanité. Selon le chercheur néerlandais Wouter Hanegraaff, l'occultisme peut être vu comme l'un des ancêtres du New Age.

Chapitre III la « tradition ».

Guénon évolua très longtemps dans les milieux occultistes jusqu'au début des années 1920. Il reprend le concept de tradition mais en le transformant de telle façon qu'il englobe toutes les traditions et religions de l'humanité. Il reprend la théorie affirmant l'existence d'une tradition primordiale dont tous les courants ésotériques : franc-maçonnerie et traditions religieuses ne seraient que des formes dégradées plus ou moins reconnaissables.

Mais il ignore ou méprise les auteurs de la théosophie classique, la tradition hermético-alchimique, le paracelsisme. Selon lui, la tradition primordiale est la source première et le fonds commun de toutes les formes traditionnelles particulières. En ce sens, il s'inscrit dans la filiation de la science chrétienne apparue au XIXe siècle.

Il critique les ordres pseudo-occultistes. Il condamne l'utilisation de documents falsifiés ou inventés. Il fera beaucoup pour distinguer l'occultisme (l'aspect pratique) de l'ésotérisme (la théorisation).

Selon lui, l'ésotérisme est l'expression interne d'une doctrine traditionnelle de nature supra humaine. Les théoriciens de la tradition primordiale et universelle arguent le fait que les traditionalistes en sont de mauvais connaisseurs. Influencé par les idées contre-révolutionnaires, Guénon refusait la sécularisation du monde et il était favorable à une initiation réservée à une certaine élite spirituelle. Pour lui, l'ésotérisme authentique devait être un sanctuaire pour la transformation intérieure de l'homme en quête de l'unité intellectuelle et spirituelle. Cette initiation authentique d'origine non humaine devait être transmise de maître qualifié à disciple dans des sociétés ésotériques instituées par une autorité non humaine. Guénon crurent voir de telles organisations dans la franc-maçonnerie et l'église catholique et, déçu, il se convertira à l'islam soufi. Pour Guénon, le secret participe de la connaissance du savoir authentique. La volonté de transparence des sociétés modernes participe, selon lui, à la décadence, à la contre-initiation. Cette recherche du secret s'était transformée chez Julius Evola en une forme de conspirationisme. Il était persuadé de l'existence d'une guerre occulte menée par les sociétés secrètes et notamment la franc-maçonnerie et par les juifs contre la tradition. Selon les traditionalistes, la tradition, le savoir authentique, ne seraient accessibles qu'au travers de connaissances hiérarchisées. Et puisque le secret est inexprimable, il est indispensable, selon Guénon, que celui qui suit le chemin de l'ésotérisme pratique une religion. La tradition, selon la pensée traditionnelle, est donc essentiellement d'ordre spirituel et métaphysique. Abelio a écrit que l'ésotérisme dissipe les ténèbres intérieures comme la connaissance dissipe les ténèbres extérieures. L'ésotérisme devient donc un concept métaphysique.

L'idée de transmission contient implicitement celle de tradition. La tradition peut être une forme de conscience collective : le souvenir de ce qui a été avec le devoir de le transmettre et de l'enrichir. C'est le projet de la tradition au sens ésotérique. Au sens religieux, la tradition est un corpus référentiel de mythes. La « tradition primordiale » se présente comme une doctrine métaphysique relevant de la connaissance de principes invariables et universels. Ce discours est apparu durant la Renaissance italienne chez certains humanistes comme Pic de la Mirandole lequel tenta de chercher un dénominateur commun de nature philosophico-religieuse existant depuis les philosophes païens. Il incorpora alors des éléments de religiosités hellénistiques, de stoïcisme, de gnosticisme, d'hermétisme néo-alexandrin, de néo-pythagorisme. Il emprunta également à la kabbale juive. René Guénon n'hésite pas à affirmer que la tradition primordiale est la source première et le fonds commun de toutes les formes traditionnelles particulières. Il peut donc être considéré comme un philosophe de l'ésotérisme doctrinal qui se donne pour tâche d'exposer les principes métaphysiques éternels qui fondent les relations entre les hommes et avec l'univers socio-cosmique.

Cette tradition se confond en partie avec ce que les auteurs anglo-saxons appellent le pérennialisme. Ce terme renvoie à la notion de pérennité. Trois postulats constituent, selon Faivre, le traditionalisme : l'existence d'une tradition primordiale, l'incompatibilité entre tradition et modernité et la possibilité de retrouver partiellement la tradition par une recherche de dénominateurs communs qui existeraient entre les différentes traditions et par une ascèse spirituelle. La Tradition en tant que métaphysique est la référence absolue à partir de laquelle est évalué le monde moderne dans tous ses aspects. Elle est donc profondément réactionnaire.

Chapitre IV : maçonnerie et ésotérisme.

Selon Stéphane François, franc-maçonnerie et ésotérisme sont des objets différents. Il n'existe aucune société secrète ou initiatique capable de se maintenir dans le temps. C'est aussi le cas de la persistance d'une supposée tradition primordiale depuis l'Antiquité. Cette volonté de filiation immémoriale relève d'une habitude d'auto-légitimation provenant des milieux occultistes ou ésotériques. Les traditions peuvent être volatiles et surtout reconstruites à des fins politiques. Les partisans de la maçonnerie occultisante ou ésotérisante n'ont fait que reprendre des éléments épars d'occultisme, d'ésotérisme, de cultures religieuses antiques auxquels ils ont redonné un sens selon leurs désirs pour se donner une légitimité.

Dans les premières loges maçonniques, il n'y avait pas de spéculations ésotériques. Les secrets des premiers francs-maçons, étaient des secrets professionnels même si un sentiment religieux régnait dans ces milieux. Les postulats de René Guénon ne tiennent donc pas. De fait, les chercheurs britanniques ont renoncé depuis les années 80 à la thèse d'une filiation directe entre la maçonnerie médiévale et la franc-maçonnerie spéculative. Cette légende a été inventée puis reprise par recopiage fainéant et sans aucune critique des textes par toute une lignée de francs-maçons. La théorie la plus probante quant aux origines de la franc-maçonnerie semble être celle de l'emprunt mis en avant par Eric Ward en 1978. Les premières loges étaient théistes. Les athées étaient personae non gratae. Les pères de la franc-maçonnerie moderne, James Anderson et Jean-Théophile Désaguliers étaient des protestants.

Les loges antireligieuses n'apparaîtront que durant le troisième tiers du XIXe siècle. De sa naissance officielle jusqu'à la fin du XIXe siècle, la franc-maçonnerie sera théiste est ouverte à des développements mystiques ou ésotériques. Elles seront aussi élitistes, interdites aux athées, aux femmes, aux personnes de condition modeste.

La dérive occultiste de la franc-maçonnerie est apparue au début du XVIIIe siècle. L'invention des hauts grades révèle un contenu ouvertement ésotérique. Les premières tentatives de franc-maçonnerie de sensibilité catholique sont apparues au début du XVIIIe siècle. La Rose-Croix fait son apparition dans les grades de chevalier d'Orient et Occident et de chevalier Rose-Croix au milieu du XVIIIe siècle. L'aspect occultiste de la franc-maçonnerie n'empêchait pas son activité mondaine et sociale. La somptuosité du cérémonial n'avait d'égale que l'indigence intellectuelle des instructions et des catéchismes. La mise en scène visait surtout à flatter la vanité des aristocrates.

Le principal inventeur de la franc-maçonnerie occultiste est Martinès de Pasqually. Il a créé sa propre organisation l'Ordre des Elus Coëns, un système théosophique qui va se greffer sur la franc-maçonnerie. Cet ordre était marqué par la kabbale hébraïque et par le mysticisme chrétien. Son but était de réintégrer l'état adamique d'avant le péché originel.

Il consistait en des pratiques hygiéniques comme le jeûne et des exercices respiratoires, des exercices moraux comme la stricte fidélité conjugale et la pratique de la théurgie. Louis Claude de Saint-Martin et Jean-Baptiste Willermoz continueront la diffusion des thèses de Martinès de Pasqually. Ils y ajouteront la conversation avec « la voix intérieure » et l'introspection. Willermoz mélangea le martinésisme avec des rites maçonniques templiers allemands comme la Stricte Observance Templière. Le résultat de cette fusion fut la création d'un grade de la franc-maçonnerie du rite écossais rectifié : l'ordre des chevaliers bienfaisants de la cité sainte. Willermoz inventa le mythe de l'origine égyptienne de la franc-maçonnerie.

Le compte de Cagliostro créa une maçonnerie égyptienne avec le rite de haute maçonnerie égyptienne. Le martinisme attirera des mystiques comme Joseph de Maistre et des francs-maçons des hauts grades de rite écossais rectifié.

C'est donc assez logiquement que des ésotéristes se sont réclamés de Joseph de Maistre. L'intérêt du romantisme pour l'irrationnel inspira la franc-maçonnerie. Les prémisses du romantisme étaient une réaction aux Lumières et à la pensée libérale. Joseph de Maistre affirma que la franc-maçonnerie spirituelle, c'est-à-dire martiniste était beaucoup plus ancienne et respectable que la franc-maçonnerie moderne. Certaines loges vont devenir de plus en plus occultisantes et ésotérisantes. Cette évolution va donner naissance à la franc-maçonnerie de Memphis-Misraïm. Cette maçonnerie se réfère à un héritage templier réinventé.

Certaines loges vont persister dans la logique initiale des loges anglo-saxonnes, c'est-à-dire qu'elles vont refuser l'évolution ésotérisante mais aussi l'évolution rationaliste. Cette franc-maçonnerie qui accueille des protestants républicains et laïques finira par se séculariser et se politiser à gauche durant le XIXe siècle, en France. Il existe une distinction au sein même de la franc-maçonnerie protestante : d'un côté il y a la franc-maçonnerie anglaise et néerlandaise qui est libérale et religieuse et de l'autre il y a la maçonnerie allemande et scandinave qui est mystique et conservatrice, influencée par la théurgie des ésotéristes en scène. À partir de la promulgation des Bulles de Pie IX, les grands notables et les catholiques quittent la franc-maçonnerie pour laisser la place aux petits-bourgeois anticléricaux engagés politiquement.

Le Grand Orient de France double son effectif entre 1862 et 1871. À partir de 1875, les références chrétiennes qui se trouvent dans les rites chevaleresques du rite écossais ancien et accepté vont être remplacées au Grand Orient de France par une sorte de déisme.

En 1877, le Grand Orient de France supprime de sa Constitution la référence à l'existence de Dieu et à l'immortalité de l'âme.

René Guénon fréquentait au début du XXe siècle divers milieux occultistes dont l'ordre Martiniste de Papus et l'Eglise gnostique universelle de Jules Doinel. Puis il rejettera l'occultisme pour conceptualiser et qu'il considérait comme l'ésotérisme véritable : la Tradition primordiale. Cette tradition se manifestant par une doctrine métaphysique supra-humaine immémoriale relevant de la connaissance des principes ultimes et invariables.

Chapitre V : la méthode « traditionnelle ».

Les partisans de l'ésotérisme traditionnaliste ont développé une méthode : l'étude des sciences sacrées (mythes et religions) pour montrer la pertinence de leur point de vue. Mais la scientificité de cette méthode est contestée par des spécialistes de l'histoire des religions. Il faut croire à la tradition primordiale si l'on veut que l'histoire des religions ait un sens. La « Tradition » en tant que « science sacrée » a caractère foncièrement artificiel. Elle doit plutôt être vue comme une construction intellectuelle essayant de donner une origine commune aux différentes traditions et métaphysiques de l'humanité.

La tradition est une création typiquement moderne car elle se présente comme un concept en miroir de la modernité : l'âge d'or n'est pas à venir mais à chercher dans le passé. La pensée traditionnelle s'est construite en opposition au monde moderne et non indépendamment de la modernité.

Selon Antoine Compagnon, la modernité peut être caractérisée par la recherche du progrès, la modernité en niant la valeur du passé et en vouant un culte au jugement de la postérité. La modernité est adepte d'une théorisation abusive et absconse. Les antimodernes exaltent le passé et nient toute valeur à la modernité. Ils sont également adeptes d'une théorisation abusive.

Antoine compagnon a dégagé six traits structuraux de l'anti modernité : la contre-révolution, l'hostilité aux Lumières, le pessimisme, la référence au péché originel, le choix d'une esthétique sublime et enfin l'adoption d'un style imprécatoire. Joseph de Maistre a condamné les droits de l'homme en considérant qu'il n'y avait pas d'hommes dans le monde. Il y avait des Français, des Italiens,, etc. mais quant à l'homme, il déclarait ne l'avoir rencontré de sa vie. Le terme « réaction » va devenir un synonyme de « contre-révolution » à la fin du XVIIIe siècle. Cette contre-révolution est au coeur de la pensée et de la méthode de René Guénon.

Chapitre VI : une vision élitiste du monde.

L'ésotérisme traditionnaliste est ouvertement élitiste au niveau spirituel dès son recadrage dans les années 1920 par René Guénon puis par Julius Evola. Leurs héritiers sont issus de la Nouvelle Droite européenne. Il refuse ce qu'ils appellent ‘l'œcuménisme-droit-de-l'hommiste ». Ils estiment que cette forme d'ésotérisme est une conséquence de l'antimodernité. Il existe des loges maçonniques inspirées par Guénon qui cherchent à maintenir la Tradition abandonnée par l'éloge « révolutionnarisées ». Le traditionalisme est parfois utilisé pour justifier l’inégalitarisme en tant qu'élitisme. Julius Evola avait écrit : « il est à peine besoin de dire que l'immortel principe de l'égalité est un non-sens. Il est superflu de rappeler l’inégalité fondamentale des êtres d'un point de vue existentiel. »

Selon Julius Evola « l'élite est quelque chose de semblable à un Ordre ». Les traditionalistes vont donc définir l'élite comme une forme d'aristocratie spirituelle dont ils font évidemment partie. Pour les traditionalistes, la modernité se caractériserait par l'individualisme, l'économisme, l'égalitarisme, le rationaliste, l’humanisme, la révolution sexuelle, les fausses élites, le métissage, la surpopulation, le totalitarisme, la dissolution de l'État, le biologisme, le néo-spiritualisme, le matérialisme, le nationalisme, le collectivisme.

Ils rejettent également le culte de l'avenir et la foi dans le progrès. Pour les traditionalistes la prétention de l'homme à vouloir égaler Dieu est l'erreur dramatique qui est la cause engendrant tous les maux de notre société : perte du sens du sacré, rationalisation excessive.

Pour René Guénon le mythe du progrès est l'ultime idole d'une civilisation matérialiste en complète dégénérescence spirituelle dont la principale représentante est la société des États-Unis. En condamnant et en combattant les valeurs issues du monde moderne, les traditionalistes cherchent à affirmer la prédiction de Nietzsche sur l'avènement du nihilisme. Pour les traditionalistes, tout pouvoir vient de Dieu et est conféré par un rite l’onction sur la tête du roi. Les traditionalistes affirment que le seul christianisme est celui d'avant la Réforme. Le protestantisme est analysé comme l'origine de l'individualisme moderne qu'ils détestent.

Le réveil spirituel des traditionalistes cherche le remplacement du monde moderne perçu comme décadent. Il cherche à rétablir la société d'ancien régime dans laquelle régnait selon eux la spiritualité. Les traditionalistes considèrent le monde moderne comme décadent et antireligieux. Guénon voit l'origine de cette évolution dans l'apparition de l'humanisme à la Renaissance. C'est ce qui explique dans son livre publié en 1927, La Crise du monde moderne. Julius Evola reprendra la même idée de façon plus radicale dans son livre Révolte contre le monde moderne publié en 1934. Les traditionalistes utilisent la théorie traditionnelle des cycles que l'on retrouve chez Hésiode ou dans des textes hindouistes. Il existerait des cycles permettant à l'humanité se diriger dans un sens donné. Ainsi l'Age d'or serait derrière nous et nous nos dirigerions vers le pire. La société des traditionalistes est une société paternaliste, conservatrice et hiérarchisée. Elle repose sur l'idée de l'origine divine du pouvoir. René Guénon affirma que chaque homme, en raison de sa nature propre, est apte à remplir ses fonctions définies à l'exclusion de toutes les autres ; et, dans une société établie régulièrement sur des bases traditionnelles, ces aptitudes peuvent être déterminées suivant des règles précises. Ainsi chacun se trouve à la place qu'il doit occuper normalement et l'ordre social traduit exactement les rapports hiérarchiques qui résultent de la nature même des êtres.

La pensée traditionaliste s'est constituée comme une métaphysique contre-révolutionnaire. René Guénon avait intégré dans son discours les thèses apocalyptiques de certains milieux catholiques influencés par Joseph de Maistre annonçant « un événement immense dans l'ordre spirituel ».

Chapitre VII : réflexions d'un chercheur en sciences humaines.

« Le récent est odieux en ce qu'il est une étape à la dégradation d'un modèle d'origine valorisé comme un temps béni, un paradis, perdu sous le coup de la modernité » (Michel  Winock).

La condamnation de la déliquescence des moeurs est un thème classique de la droite radicale. Ce discours est présent en France depuis la Révolution française. Michel Winock distingue neuf constantes dans le discours dévolutionniste : la haine du présent ; la nostalgie d'un âge d'or, l'éloge de l'immobilité, l'anti-individualisme ; l'apologie des sociétés élitaires ; la nostalgie du sacré ; la peur de la dégradation génétique et de l'effondrement démographique ; la censure des moeurs ; et enfin l'anti-intellectualisme.

Les traditionalistes défendent l'idée d'une société hiérarchisée à la fois calquée sur le corps humain : la tête constitue l'élite ; les mains les agriculteurs et les artisans. Les traditionalistes postulent l'existence d'une harmonie autonome de toutes les lois qui gouvernent ce genre de système. Évidemment dans un tel système l'individu reste prisonnier de sa fonction. Louis de Bonald et Joseph de Maistre avaient théorisé l'opposition entre la personne et l'individu. L'individu autonome, indépendant de toutes relations, prônant affirmation du moi issu des Lumières s'oppose selon eux à la personne qui n'existe que par le groupe (famille, corporation, castes).

Mais la pensée traditionaliste ne peut pas se réduire à une contre-révolution politique et économique. Elle cherche aussi un sens universel au monde en rattachant l'individu à un ordre idéal censé avoir existé au début des temps, au temps de l'âge d'or. L'État traditionaliste doit éviter les écueils de l'État moderne lequel consiste à inciter à l'individualisme, au matérialisme et à l'égalitarisme. L'État traditionaliste rejette les conceptions fascistes et communistes de l'État considéré comme totalitarisme uniformisateur et niveleur. Le fascisme et le communisme sont donc perçus comme des manifestations perverses de la modernité. Il faut donc saisir l'antilibéralisme et l'antimarxiste du traditionalisme. La pensée contre-révolutionnaire est plus un régionalisme qu'un nationalisme. Le traditionalisme rejette la centralisation gouvernementale. L'État traditionaliste influencé par Julius Evola et René Guénon prône la subsidiarité, la décentralisation, l’inégalitarisme, le respect des cultures et traditions régionales. La société traditionaliste doit être solitaire et organisée selon des principes communautaristes. Les principaux théoriciens de cette forme d'ésotérisme ont donc élaboré un discours faisant de la modernité une involution polymorphe particulièrement néfaste. L'histoire de l'humanité, devient l'histoire d'une dégradation, d'un déclin, à partir d'un état primordial originel. Tout ce que la conscience moderne analyse et perçoit comme un progrès, l'école de la tradition l'interprète comme déclin : la Renaissance, la philosophie des Lumières.

La pensée de René Guénon fut influencée par celle de Joseph de Maistre. Guénon reprend les principaux thèmes de la contre-révolution mais transférés dans le domaine ésotérique et traditionaliste. Cela est aussi valable pour Evola. Joseph de Maistre n'a pas pu utiliser le terme « ésotérisme » puisque ce mot n’est apparu qu'au début du XIXe siècle. Toutefois, on peut considérer Joseph de Maistre comme un précurseur de la pensée ésotérique. Joseph de Maistre était influencé par Martinès de Pasqually et par Louis Claude de Saint-Martin. Il se passionna aussi pour les doctrines mystiques du Suédois Emmanuel Swedenborg. Swedenborg était un scientifique, un philosophe et un mystique suédois du XVIIIe siècle. Il a développé à la fin de sa vie une vision mystique de la religion et prétendit être capable de discuter avec des anges et des esprits. Assez logiquement, des ésotéristes se sont réclamés de lui. Mais surtout, l'influence de Joseph de Maistre se retrouve chez certains ésotéristes influent du XIXe siècle et notamment chez ceux paradoxalement des rangs du socialisme utopique comme Eliphas Lévi. Les traditionalistes de placent de facto dans la modernité puisque l'antimodernité peut être définie en miroir de la modernité.

Sans modernité, il n'y a pas de réaction traditionnelle. C'est donc en se présentant comme un laboratoire de la modernité que la pensée ésotérique a transmis des vérités qu'elle considérait comme éternelles, un dépôt traditionnel venu de la nuit des temps. Mais il n'existe pas de structure traditionaliste. En effet, le monde de l'ésotérisme traditionaliste est un monde de divisions. Dans la franc-maçonnerie anglo-saxonne, le terme « esotéric » renvoie à la notion de secret. Il n'a rien d’ésotérique, au sens hermétique, dans la franc-maçonnerie anglo-saxonne. L'une des ambiguïtés est due à l'importance du secret dans les dans les rituels et la pratique du serment dans la vie maçonnique. Les notions d'initiation et de rites au sein de la franc-maçonnerie sont à l'origine de malentendus, en particulier vis-à-vis des milieux ésotériques ou occultistes. Il existe des rites dépourvus de contenu ésotérique comme les rites de passage qui valident une évolution d'un statut social. Enfin, la rationalisation croissante des sociétés depuis le XVIIIe siècle font que les rites perdent leur sens. Les rites ont pour but de rattacher le présent au passé et l'individu à la communauté. C'est le cas des rites mis en place par la franc-maçonnerie depuis ses origines. Les traditionalistes ésotéristes nient l'aspect du rite de passage considéré comme forme de négociation d'un nouveau statut au sein d'une société. Ils préfèrent voir dans ces rites un contenu mystique.

Conclusion

Les rites de la franc-maçonnerie ont recyclé d'anciennes traditions dont le sens a été perdu longtemps et ils en ont créé d'autres porteurs d'une relecture du passé. Les ésotéristes ont créé à partir de ces rites d'institutions et de la symbolique maçonnique, une franc-maçonnerie occultisante qui agglutine différents mythes comme les templiers ou celui d'Hiram.

Les mythes chevaleresque et templier qui font partie de la franc-maçonnerie occultisante sont des mythes agglutinants. Ils sont apparus dans un contexte historique bien précis, celui de l'Europe du début du XVIIIe siècle. À cette époque il y avait un intérêt croissant pour une chevalerie mythifiée car disparue depuis 200 ans. La franc-maçonnerie chevaleresque s'est diffusée en Europe via l'exil des partisans des Stuarts. Apparaissent alors les hauts grades d'inspiration chevaleresque que le chevalier Ramsay diffusa. Ces grades flattèrent l’égo de la noblesse européenne très présente dans le métier des armes. Les bourgeois fantasmèrent sur ces grades et aspirèrent à s'y agréger. Cela contribua au succès des loges européennes. L'intérêt chevaleresque est présent dans les Constitutions d'Anderson. Dès lors, il y a un glissement progressif vers les templiers puis vers l'occultisme. Certains francs-maçons vont avoir une lecture mystique de l'imaginaire de la chevalerie. L'imaginaire de la chevalerie va s'agglutiner à celui des templiers et à de supposées connaissances templières jusqu'aux dérives contemporaines. Des chartes furent fabriquées dans les milieux ésotériques pour donner une respectabilité initiatique. Cette forme de franc-maçonnerie bricolée à partir de la vision que possède le franc-maçon de la franc-maçonnerie intègre parfois des légendes complémentaires. Plusieurs francs-maçons ont utilisé ces légendes sans aucun souci de critiques : Amadou, Ambelain ou Serge Hutin. À partir du moment où l'on considère que les mythes utilisés par la franc-maçonnerie n'ont aucune racine historique et que la franc-maçonnerie est bien apparue au XVIIe siècle, nous pouvons dire que la franc-maçonnerie n'initie à rien de secret, si ce n'est à soi-même et à l'ennoblissement de l'humanité. Elle ne transmet rien d'ésotérique ou d'occultiste. La tradition doit être vue comme une construction intellectuelle essayant de donner une origine commune aux différentes traditions et métaphysiques de l'humanité.


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