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l'arme pour rendre la vie supportable. (Mishima)

Par Jmlire

l'arme pour rendre la vie supportable. (Mishima)Mishima en 1956.

" ... Ce qui change le monde, c'est la connaissance. Est-ce que tu comprends ? Rien d'autre, rien ne peut transformer le monde. La connaissance seule peut le changer, tout en le laissant tel qu'il est, inchangé. Vu sous cet angle, le monde est éternellement immuable, mais aussi en perpétuel changement. Tu me diras que ça ne nous sert pas à grand chose. N'empêche que pour rendre la vie supportable, on peut le dire, l'humanité dispose d'une arme, qui est la connaissance. Les bêtes n'ont pas besoin de ça. Parce que, pour elles, cela ne signifie rien : rendre la vie supportable. Mais l'homme, lui, connaît et se fait une arme de la difficulté même de supporter l'existence, sans que pour autant cette difficulté s'en trouve le moins du monde adoucie. Voilà tout.

- Tu ne crois pas qu'il est d'autres moyens de rendre la vie supportable ?

- Non, vois-tu. À part ça, il n'y a que la folie ou la mort.

- La connaissance est totalement incapable de changer le monde..."

J'avais laissé échapper ces paroles, frôlant dangereusement la confession. " le monde, continuai-je, c'est l'action qui le transforme, rien d'autre..." Comme je le prévoyais, Kashiwagi para le coup, avec ce sourire froid qui semblait collé à ses traits.

" Crois-tu ? Tu dis : l'action. Mais ces choses belles pour qui tu as de la tendresse, ne vois-tu pas qu'elles n'aspirent qu'au sommeil sous la garde de la connaissance ? Un jour, nous avons parlé du chat de Nansen, ce chat d'une beauté incomparable. Si les deux clans de moines se sont disputés, c'est que les uns et les autres voulaient le protéger, le couver, le faire dormir douillettement - celà, au sein de la connaissance particulière de chacun. Le Père Nansen, lui, était un homme d'action : il ne fait ni une ni deux, trucide la bête et l'affaire est réglée. Arrive Chôshu, qui met ses sandales sur sa tête. Cela veut dire quoi ? Qu'il sait fort bien que la Beauté est chose qui doit rester endormie sous la protection de la connaissance, mais qu'il n'y a pas de connaissance INDIVIDUELLE, de connaissance PARTICULIÈRE à celui-ci ou à celui-là. Non ! La connaissance est pour les hommes un océan, une vaste lande, et l'ordinaire condition de l'existence. Voilà, je crois, ce que signifiait son geste. À présent, tu veux jouer les Nansen, hein ? Eh bien, cette beauté que tu aimes n'est que le fantôme de cet "autre moyen", dont tu parlais, "de rendre la vie supportable". On peut aller jusqu'à dire qu'une telle chose n'existe, en fait, pas. Mais ce qui donne tant de force à l'illusion, ce qui lui confère un tel caractère de réalité, c'est précisément la connaissance. Du point de vue de la connaissance, jamais la Beauté n'est consolation. Ce peut être une femme, ce peut être une épouse, ce n'est jamais une consolation. Cependant, du mariage de la connaissance et de cette Beauté qui n'est pas une consolation, quelque chose naît. Quelque chose d'éphémère, de pareil à une bulle, à quoi l'on ne peut absolument rien. Oui, quelque chose naît ; et c'est ce que les gens appellent l'ART. "

Yukio Mishima, extrait de "Le Pavillon d'Or", 1956. Éditions Gallimard, 1961, pour la traduction française.

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