"30.000 larmes", dit le gros titre
qui reprend les couleurs nationales, bleu ciel et blanc
Cliquez sur l'image pour une meilleure résolution
Elle avait le verbe haut,
agressif et truculent, le poing fermé et levé et des positions politiques tranchées et
tranchantes. C’était une femme tout d’un bloc ! A 93 ans,
alors que l’Argentine célébrait hier la fête de la Souveraineté
en souvenir d’une bataille fluviale contre une escadre française
en 1845 (la Vuelta de Obligado), l’inamovible et polémique
présidente de Madres de Plaza de Mayo est décédée dans la
matinée. Une date symbolique presque faite pour cette militante
infatigable. En son honneur, le gouvernement argentin a décrété
trois jours de deuil.
Une de l'édition de Página/12 distribuée à Rosario
L'info est traitée en haut en caractères ciel sur fond blanc
Cliquez sur l'image pour une meilleure résolution
Pendant la dernière dictature militaire, Hebe de Bonafini, mère de famille nombreuse, avait perdu deux de ses enfants, toujours portés disparus à ce jour. Une tragédie dont il semblerait bien qu’elle n’ait jamais pu la surmonter. Elle avait souhaité que ses cendres soient dispersées sur Plaza de Mayo, là où avec quelques autres mères elles aussi sans nouvelles de leurs enfants, elle a réclamé de leurs nouvelles tous les jeudis après-midi depuis 1976. Hebe de Bonafini était en effet l’une des fondatrices de Madres de Plaza de Mayo qui avait fini par se scinder en deux, avec la création d’une autre association moins partisane et moins idéologisée, Madres de Plaza de Mayo Línea Fundadora.
Ces dernières années, Hebe de
Bonafini était devenue un appui inconditionnel de Cristina Kirchner
quoi que fasse et dise l’ancienne présidente de la Nation devenue
vice-présidente de l’actuel locataire de la Casa Rosada. Hebe
s’était donc fait pas mal d’adversaires, pour ne pas dire
d’ennemis politiques dans son pays. Elle inspirait même une
méfiance certaine voire une franche hostilité à une bonne partie
des autres organisations militantes en faveur des Droits de l’homme
et de la recherche de la justice et de la vérité pour les victimes
de la dictature militaire de 1976-1983 : 30 000 disparus
reconnus par l’ONU.
Une petite photo en haut à droite et c'est tout
Cliquez sur l'image pour une haute résoluton
Aujourd’hui, de très
nombreuses personnalités de gauche lui rendent hommage en Argentine
mais aussi sur tout le sous-continent qui ces derniers temps a
majoritairement basculé de ce côté-là de l’échiquier
politique. Au-delà des aspects partisans et idéologiques, l’Église
catholique argentine (à travers une déclaration de l’archevêque
de La Plata) et d’autres institutions représentatives de la
société ont publiquement réagi.
Un titre secondaire tout en bas et pas même une photo
Cliquez sur l'image pour une haute résolution
Depuis un peu plus d’un mois,
on s’attendait à une issue fatale, depuis que Hebe avait été
hospitalisée à plusieurs reprises, à commencer par le 11 octobre
pour ce qui avait été présenté comme de simples examens. Hier
matin, elle est donc morte à l’hôpital italien de La Plata en
paix avec la foi de son baptême, elle qui avait si violemment
critiqué l’Église et agoni d’injures le cardinal Jorge
Bergoglio, alors archevêque de Buenos Aires, jusqu’à ce qu’elle
soit reçue à Rome, peu après le conclave de 2013, par le même
homme, devenu pape François, dont elle avait le jour même amplement
exploité et arrangé à sa sauce le contenu de l’audience.
Cliquez sur l'image pour une meilleure résolution
Dans Página/12, dont
l’édition de ce jour est très largement consacrée à cette
disparition emblématique, le dessinateur Miguel Rep assimile Hebe de
Bonafini autant à Eva Perón qu’à Diego Maradona dans cette
vignette légendée : « Hebe, née pour déranger »
(une formule qu’il avait déjà appliquée à ces deux monstres
sacrés dans les deux livres qu’il leur a respectivement
consacrés).
La querelle du jour entre le président et
l'association Madres de Plaza de Mayo
Cliquez sur l'image pour une haute résolution
Hebe de Bonafini aura enfin réussi cet exploit posthume que la polémique lui survive en ce lendemain de sa mort : dans un message publié sur Twitter, le président Alberto Fernández (que la disparue avait copieusement insulté depuis le début de son mandat) a osé associer le combat de Madres à celui (le même) des deux autres associations de femmes militantes des Droits de l’homme, Madres Línea Fondadora et Abuelas. Ce tweet présidentiel a suscité une réponse ulcérée et épidermique de l’organisation en deuil qui ne supporte pas un tel rapprochement. Parfaite image hélas de ce pour quoi la défunte était si contestée de son vivant. En ce jour d’obsèques où traditionnellement, sous toutes les latitudes, tout le monde sait taire ses différends et ses critiques, il fallait le faire !
Ce caractère irascible et querelleur qui singularisait Hebe explique pourquoi aujourd’hui
les journaux de droite n’ont pas fait l’effort de surmonter leur
acrimonie à son égard. Sur leurs unes, la nouvelle de son décès
est rapportée a minima, au point qu’on peut presque parler
d’indécence de leur part (observez la hiérarchisation des
sujets !).
La encore, en bas, mais au moins,
il y a une photo
Cliquez sur l'image pour une haute résolution
Il est plus que probable que les trois jours de deuil national seront diversement appréciés et respectés par une population beaucoup plus divisée sur la disparue qu’elle l’avait été la dernière fois qu’une telle mesure avait été décrétée. C’était il y a deux ans, presque jour pour jour, pour rendre hommage à Diego Maradona, qui, en dépit de ses sempiternelles provocations politiques, était une figure sans aucun doute plus consensuellement admirée.
© Denise Anne Clavilier www.barrio-de-tango.blogspot.com
Pour aller plus loin :
lire l’article de La Prensa
lire l’article de Clarínlire l’article de La Nación