Quatrième de couverture :
« Comme on se souvient d’un chien perdu, c’est ainsi qu’il pense à la littérature. Il cherche à se convaincre qu’il en est débarrassé, que la vie sans elle serait plus douce et plus facile ; qu’il pourrait tout bonnement la remplacer, cette habitude tyrannique, par une autre moins exigeante, un passe-temps, comme il convient à ceux qui n’attendent plus rien du temps sinon qu’il passe. »
En 1875, miné par des problèmes de santé et d’argent, Flaubert se considère fini. Espérant reprendre goût à la vie, il se rend à Concarneau pour passer l’automne auprès de l’un de ses amis savants. Les bains de mer et les nouvelles, les promenades sur la côte et les rencontres se succèdent, en vain. Un jour pourtant, dans sa petite chambre d’hôtel, l’envie de l’écriture le saisit. En est-il encore capable ?
Le nom d’Alexandre Postel, une toile d’Eugène Boudin, il n’en fallait pas plus pour m’attirer sans compter le titre, bien sûr : le mot automne et la série de titres que j’ai envie de lire (euh… sans compter les tentations annexes) et Flaubert dont je caresse toujours le rêve de relire Madame Bovary et pourquoi pas, d’autres titres.
La quatrième de couverture est explicite mais ne dit pas tout de ce court roman que j’ai lu le sourire aux lèvres. Mettre en scène le personnage de Flaubert vieillissant, déprimé, rongé et pas très fier de ses soucis d’argent, c’est une belle idée car le personnage est loin d’être ordinaire. Ses contradictions, ses souvenirs mélancoliques, ses habitudes, ses relations aux autres, à sa famille et à ses amis, tout est intéressant sous la plume d’Alexandre Postel, dont j’ai lu et apprécié le premier roman lors du jury du prix Première, Un homme effacé.
A Concarneau, Flaubert recherche la compagnie de ses amis scientifiques, les docteurs Pouchet et Pennetier. Observer leurs travaux sur les animaux marins l’intéresse et le fascine à la fois : cela renforce évidemment ses convictions scientistes mais il se laisse également toucher – à son grand étonnement – par des croyances populaires comme un pardon de pêcheurs. Avec ses amis, il fait de longues promenades, il se baigne dans la mer, il écrit quelques lettres, notamment à sa nièce Caroline (tant il est anxieux de sa situation financière) et à son amie George Sand. C’est le portrait d’un homme certes excessif qui se dessine (dans la nourriture, les appétits sexuels) mais aussi attachant et assoiffé de reconnaissance qui se dessine.
Les semaines passant, Gustave retrouve peu à peu le goût d’écrire. C’est ainsi qu’il dresse le plan et les premières pages de ce qui deviendra La légende de saint Julien l’Hospitalier (texte qui sera publié dans Trois Contes). Après le portrait de l’homme, de l’oncle, de l’ami, c’est celui de l’écrivain qui s’offre au lecteur et c’est au processus de création littéraire que nous sommes conviés. Nous voilà au plus près de Flaubert réfléchissant, se documentant, taillant et retaillant ses phrases, polissant ses mots comme ses plumes. Et là, je dois avouer que j’ai eu le sourire aux lèvres durant toute ma lecture tant l’auteur, Alexandre Postel, a lui-même travaillé son texte, tout comme son sujet d’inspiration. Son style est parfait pour moi, ce fut un vrai plaisir de lecture, qui m’a orientée sur un autre livre consacré à Flaubert (billet à venir), bouleversant un peu mes projets de lecture sur l’automne. Mais l’ermite de Croisset n’en vaut-il pas la peine ?
« Cet élan s’est perdu qui jadis lui dilatait les narines, lui écarquillait les yeux et le poussait sur les routes du matin jusqu’au soir ; maintenant, ce traînant sur le pourtour sinueux des anses de la baie, il n’éprouve que le poids de sa propre chair. Son pas est lent, son souffle court, et son esprit, loin de s’ouvrir aux forces et aux flux du monde, se resserre sur les menus accidents du chemin, une racine glissante, une roche instable, une ronce à écarter. Le coutil de son pantalon lui colle aux cuisses. Ses compagnons marchent trop vite à son gré, mais par orgueil il se refuse à le leur dire. De temps à autre, Pouchet s’arrête pour lui signaler un détail pittoresque, une algue rare ondulant dans le courant, une curiosité géologique : il profite de ces haltes pour reprendre son souffle, il pose un regard las sur tout ce qu’on lui montre. » (p. 68)
« Malgré toutes les choses qui le séparent de ces ouvrières de la mer, c’est un sentiment de proximité qu’il éprouve. L’activité de ces femmes n’est pas si différente de la sienne : de même que la sardinière ressuscite les poissons morts dans la vie éternelle de la conserverie, le travail de la phrase ne consiste-t-il pas à figer les idées dans l’éternité du style ? » (p. 135)
« N’importe ! Il n’y pensera plus après une bonne nuit de sommeil : d’où vient l’inspiration, comment naissent les livres, ce qui pousse un homme à écrire, ces questions-là ne méritent pas qu’on s’y attarde. Tenter d’y répondre, c’est, comme Isis, se vouer à rassembler les membres épars du cadavre d’Osiris : de même que la déesse ne retrouva jamais le sexe du dieu démembré, l’organe générateur de l’art échappera toujours aux regards. » (p. 153)
Alexandre POSTEL, Un automne de Flaubert, Folio, 2021 (Gallimard, 2020)
Petit Bac 2022 – Art 4
Marilyne m’accompagne aujourd’hui sur le thème de l’automne avec un titre de SOSEKI, Rafales d’automne.