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Grégoire Bouillier – Le cœur ne cède pas

Par Yvantilleuil

Grégoire Bouillier – Le cœur ne cède pasDésolé, mais un roman de plus de 900 pages n’a pas sa place dans ma PÀL déjà débordante. Il a beau avoir été en lice pour les Prix Goncourt, Femina et Renaudot et avoir remporté le Prix André Malraux 2022, il faut savoir se fixer des limites dans la vie et les respecter quoi qu’il advienne. Même si l’auteur parvient à titiller ma curiosité lors de son passage à La Grande Librairie et que son nouveau présentateur, Augustin Trapenard, affirme haut et fort qu’une fois entamé il est impossible de la lâcher cette brique qui doit probablement déborder de longueurs interminables, c’est bien mal connaître mon caractère intransigeant. D’ailleurs, je vais vite m’empresser de vous prouver qu’il a tort, ce suppléant à deux balles de François Busnel qui croît pouvoir agiter sa carotte dans mon écran de télévision comme si j’étais le dernier des ânes: allez hop, juste vingt petites pages et je le redépose vite fait moi, son soi-disant OVNI littéraire… ouais, finalement peut-être pas si vite que cela… ah déjà plus de 150 pages de lues là quand même… et merde !

Tout aurait pu très bien se passer pourtant car ce roman était bien parti pour ne jamais voir le jour. OK, en 1986 Grégoire Bouillier avait certes entendu parler d’un fait divers marquant à la radio. Une ex-mannequin prénommée Marcelle Pichon s’était laissée mourir de faim dans son petit appartement parisien du XVIIIe en consignant chaque étape de sa lente et horrible agonie dans un journal intime durant quarante-cinq jours, et ce n’est que dix mois après sa mort que le corps momifié de la pauvre femme de 64 ans et ses écrits avaient été retrouvés. Un suicide d’une lenteur déconcertante qui n’avait certes jamais totalement quitté les pensées de l’ancien journaliste, mais vu qu’il avait oublié tous les détails de l’affaire en question, du nom de la victime à celui de l’émission, en passant par la date approximative du drame, aucun risque qu’il en fasse un jour un roman. De plus, en 2018, le garçon n’a aucune envie d’écrire car il nage dans une solide déprime.

Pourtant, plus de trente années après les faits, lors d’une discussion totalement fortuite à l’occasion d’une soirée d’anniversaire où il n’avait même pas envie d’aller, subitement un des invités semble détenir une piste et rallume la flamme de cet auteur qui n’avait pourtant aucune chance de terminer dans ma PÀL. Même l’interdiction formelle de la petite fille de Marcelle Pichon d’écrire quoi que ce soit sur sa grand-mère ne parviendra pas à l’empêcher de plonger dans une enquête obsessionnelle sur les traces de cette femme, cherchant à comprendre le pourquoi qui se dissimule derrière ce fait divers pour le moins sordide qu’il n’a jamais su oublier.   

Afin de se protéger d’éventuelles poursuites judiciaires de la part des descendants de Marcelle Pichon, Grégoire Bouillier choisit de dissimuler le réel au cœur d’une fiction dans laquelle il devient le détective privé Baltimore, patron de l’agence Bmore & Investigations, où il est secondé par une jeune et pétulante assistante prénommée Penny. Un contexte fictif qui lui permet d’explorer la moindre piste, allant d’archives en tout genre à du travail de terrain, et des éléments d’enquête que le lecteur peut même consulter en ligne sur www.lecoeurnecedepas.com, le site Internet tenu à jour par Bmore & Investigations…afin que rien ne se perde.    

Si ce récit hors normes et totalement subjectif trouve ses racines dans un fait divers ancien, l’auteur en explore chaque branche, voyageant dans le temps et dans l’arbre généalogique de Marcelle Pichon sur plus de deux siècles, multipliant les digressions, les anecdotes historiques, les hypothèses parfois farfelues, les fausses pistes et les références littéraires, cinématographiques et autres. Un procédé qui ne le met certes pas à l’abri de quelques longueurs, de sujets qui sont parfois forcément moins intéressants que d’autres, d’un fil conducteur qui semble parfois vouloir lui échapper et de nombreux indices qui finissent en cul-de-sac, mais c’est tellement bien écrit et débordant d’humour et d’autodérision, qu’on se laisse volontiers embarquer, oubliant finalement de compter les pages. De plus, en partant à la recherche de cette femme qui l’intrigue depuis si longtemps, c’est lui-même qu’il va finalement rencontrer, donnant à cet ovni littéraire de plus de 900 pages des allures autobiographiques souvent très poignantes, à l’image de ce dix-huitième chapitre sur ses propres origines ou cet épilogue faisant office de centième chapitre qui dévoile finalement les carnets de sa propre agonie…      

Le cœur ne cède pas, Grégoire Bouillier, Flammarion, 912 p., 26 €

Elles/ils en parlent également : Paul, Rose, Cannetille, Julie, Papivore, Touchez mon blog

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