Merci à Philippe de m'avoir rappelé cette magnifique émission sur Christian Bobin.
La poésie comme chemin spirituel avec Christian BobinPremière diffusion le 3 novembre 2009 LES LECTURE DE TEXTES par Leili Anvar Souveraineté du vide, Fata Morgana, p.
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La souveraineté du vide (extrait) - Christian Bobin
"Dieu c'est le nom de quelqu'un qui a des milliers de noms. Il s'appelle silence, aurore, personne, lilas et des tas d'autres noms mais ce n'est pas possible de les dire tous, une vie entière n'y suffirait pas et c'est pour aller plus vite qu'on a inventé un nom comme celui-là, Dieu. Un nom pour dire tous les noms, un nom pour dire quelqu'un qui est partout sauf dans les églises, les mairies, les écoles et tout ce qui ressemble de près ou de loin à une maison car Dieu est dehors, tout le temps, par n'importe quel temps même l'hiver et il s'endort dans la neige et la neige pour lui se fait douce. Elle ne lui donne que sa blancheur avec quelques étoiles piquées dessus, elle garde pour elle la brûlure du froid.
Dieu n'a pas de maison, il n'en a pas besoin et d'ailleurs lorsqu'il voit une maison, il ouvre les portes, déchire les murs, brûle les fenêtres et c'est tout ce qui entre avec lui, le jour, la nuit, le rouge, le noir, tout et dans n'importe quel ordre et alors, et alors seulement, les maisons deviennent supportables, alors seulement on peut les habiter puisqu'il y a tout dedans. Le soleil, la lune, la vie très folle, la douceur très grande de la folie, les yeux pervenches de la folie. Et Dieu repart ailleurs, toujours ailleurs, à force de traîner les chemins, de s'endormir partout, dans les sources, dans les fougères, dans le nid des mésanges ou dans les yeux des tout-petits.
Dieu a une drôle d'allure, vraiment. Lorsqu'il n'ouvre pas toutes grandes les portes, Dieu ne fait rien, ce serait là son métier. Ne rien faire. C'est un métier très difficile. Il y a très peu de gens qui sauraient bien le faire, qui sauraient ne rien faire. Dieu lui fait cela très bien. De temps en temps pour se reposer, il s'arrête de ne rien faire alors il fait des bouquets, il cueille toutes les lumières du monde même celles des orages, des encriers. Il en fait des bouquets mais ne sait à qui les offrir. Ou bien il met un coquillage tout contre son oreille et il écoute des musiques, toutes les musiques du monde, longtemps il écoute et c'est comme un flocon dedans son cœur, un tourment d'écume, le premier âge de la mer, l'immensité de la mer dedans son cœur.
Et Dieu se met à rire et Dieu se met à pleurer parce que rire ou pleurer pour Dieu c'est pareil. Parce que Dieu est un peu fou, un peu bizarre. Et si on lui demande ce qu'il a, il dit qu'il ne sait pas, qu'il ne sait rien, qu'il a tout oublié le long des chemins et qu'il a perdu la tête, perdu son ombre, qu'il ne sait plus son nom. Et puis il rit et puis il pleure et il s'en va, il s'en vient et c'est le jour puis c'est la nuit et puis voilà, c'est toujours comme ça, toujours, chaque jour."
lu par Leili Anvar De 49’45 jusque 53’20 /