Magazine Beaux Arts

Histoire de la broderie, partie 3

Publié le 03 décembre 2022 par Anniecac @AnnieCdeParis

La broderie, un art sacré – A l’époque médiévale et sous l’influence de l’Eglise chrétienne, la broderie commence à jouer un nouveau rôle : par le biais d’une imagerie colorée, elle se voit chargé d’illustrer la foi et de magnifier Dieu. Les monastères européens se font ainsi le lieu privilégié de l’élaboration des broderies ecclésiastiques.

Le vêtement liturgique. Porteur de la symbolique chrétienne, le costume acquiert peu à peu une place importante dans la liturgie. Broderies d’or et d’argent, perles et pierres précieuses exaltent la splendeur divine et valorisent la fonction de celui qui la représente au coeur du pouvoir temporel de l’Eglise. Les caparaçons étincelants impressionnent les fidèles et forment une barrière de respect ; les tissus lourds, chargés d’ornements, ne sont pas sans évoquer la fonction protectrice de l’armure, et rendent ainsi plus vénérable la personne de l’officiant.

La magnificence du costume liturgique, dont la forme se distingue définitivement de celle du vêtement profane, tient en partie à la richesse et à la rareté des tissus venus d’Orient. C’est leur caractère sacré qui a permis à ces superbes pièces d’échapper au vandalisme et d’être, aujourd’hui encore, présentes dans les trésors des cathédrales et les musées du monde entier. Les lois dites somptuaires qui, au cours des siècles, vont tenter de limiter le luxe de la parure, ne s’appliqueront jamais à la broderie religieuse. Si la composition des divers éléments du vêtement liturgique – drap, pluvial, chasuble, dalmatique, étole, manipule, mitre, gants, chaussures – est déterminée lors des conciles, le dessin des motifs peut évoluer, lui, librement. C’est grâce à son décor particulier qu’on peut maintenant situer dans le temps telle étole ou telle chape.

Jusqu’à la première moitié du XIIème siècle, l’ornementation des tissus continue d’évoquer Byzance. Les personnages, à l’attitude hiératique et aux vêtements surchargés, sont disposés dans des compartiments polylobés, carrés ou circulaires. Le suaire de saint Lazare, conservé à la cathédrale d’Autun, est un bon exemple de cette inspiration orientale, de même que la chape pontificale de Montiéramay, exposée au Trésor de la cathédrale de Troyes. Ce grand manteau de cérémonie en samit rouge, qui forme un segment de cercle de trois mètres sur un mètre vingt, est orné d’une cinquantaine de médaillons quadrilobés.

Des inscriptions sont parfois nécessaires à la compréhension de ces images brodées, de nature souvent allégorique. A partir de 1150 environ, les figures, toujours de type byzantin, sont représentées dans des cadres qui s’intègrent peu à peu à l’architecture sous la forme d’arcades et de colonnades ; elles sont entourées de motifs imitant la nature : rinceaux souples, feuillages gracieux…

Au début du XIIIème siècle, le règne végétal s’impose dans les décors brodés : bourgeons, lys, roses, fleurs à trois pétales, feuilles de cresson, grappes de raisin. Plus on avancera dans le siècle, plus la représentation de la flore sera naturaliste ; au répertoire traditionnel viendront s’ajouter le chêne, l’érable, le lierre, ainsi que l’un des thèmes primordiaux de l’Ancien Testament : l’arbre de Jessé. Vers la fin du siècle, l’ornementation des vêtements sacerdotaux subit l’influence du style gothique. Les personnages apparaissent alors sous des arcatures trilobées, à l’instar de l’art statuaire des cathédrales. Certains éléments décoratifs sont empruntés à la ferronnerie : les enroulements symétriques ornant les chasubles évoquent les pentures de portes de l’époque.

Peu à peu, chaque pays d’Europe commence à se distinguer par son style propre, le plus illustre étant l’opus anglocanum, broderie d’or et de soie célèbre pour sa grande perfection. Dès 1295, on en trouve trace dans les inventaires du Vatican : ainsi les papes Nicolas IV, Pie II et Clément V commandent en Angleterre de somptueux manteaux de choeur, pour les offrir ensuite à leurs villes natales. A la fin du XIVème siècle, l’essor de la broderie anglaise souffrira pourtant d’un ralentissement dû à des raisons économiques, ainsi qu’à la peste et à la guerre.

En Allemagne, cette technique universelle trouve très tôt une place privilégiée, notamment sur les vêtements sacrés de l’empereur Henri II, de son épouse Cunégonde et du frère de celle-ci, saint Etienne de Hongrie.

Ces ouvrages sont principalement l’oeuvre de monastères et d’abbayes. Les enluminures des manuscrits et les chapiteaux sculptés surmontant les colonnes des cloîtres représentent une source d’inspiration séduisante pour les moines, les religieuses et les femmes de qualité qui brodent pour les églises. Saint-Gall s’est illustré comme l’un des ateliers les plus importants consacrés à l’art sacré.

Pendant la Renaissance, les broderies vont devenir de véritables peintures à l’aiguille. L’exécution du travail est poussée à un très haut degré de perfection. Le remplissage uni des figures, sans effet de relief, est abandonné au profit d’un modelé qui rivalise avec la peinture ; les nombreuses nuances permettent des dégradés subtils. Au XVIème siècle à Paris, la corporation des brodeurs décidera que « désormais, on devra remplir les nuds et les visages de trois ou quatre soies pour les moins, teintes en carnation et non de soies blanches comme auparavant ». Les plus célèbres artistes du moment fournissent des modèles aux brodeurs. Les points du passé empiétant, technique souvent employée, suivent toutes les ondulations des formes. On surajoute parfois des retouches au pinceau. D’un bout de l’Europe à l’autre, le travail des Italiens est imité. Les Vénitiens utilisent des perles de verre coloré qui, dans leur profusion, alourdissent considérablement le vêtement.

Au XVIIIème siècle, les étoffes façonnées, scintillant de fils d’or et d’argent, sont encore enrichies de broderies. Les personnages deviennent très réalistes, leurs attitudes exprimant désormais leurs émotions. Aux grotesques et arabesques toujours en vogue, vient s’ajouter une flore de plus en plus naturaliste ; des bouquets baroques foisonnent de fleurs minutieusement reproduites. Mais, si les styles évoluent, l’esprit demeure : les vêtements restent toujours chargés de symboles chrétiens et de scène bibliques.

Le décor des églises. Dès le Moyen Age, les églises ont été somptueusement décorées : antependia, bannières, frontals d’autel, voiles de ciboire, tapis de crédence. Certains décors, telles les tentures, sont destinés à éclairer les fidèles autant qu’à orner le lieu du culte : les scènes doivent être assez éloquentes pour apporter un enseignement direct. Expression parfaite de l’art roman catalan, la broderie de la Création, conservée à Gérone, illustre bien ce rôle didactique.

A l’aube du XVIème siècle, tandis que s’achève la construction des châteaux et des cathédrales, tapissiers et brodeurs s’emploient à trouver des idées nouvelles pour les meubler et les décorer. Une industrie civile, favorisée par le mécénat des rois à travers l’Europe, se fixe dans tous les grands centres urbains et donne un élan à la broderie sacrée.

Louis XIII encourage notamment la réalisation de travaux importants destinés à l’Eglise. Ainsi, le brodeur royal Alexandre Paynet sera chargé de créer de superbes ornements pour l’église du Saint-Sépulcre à Jérusalém.

Dessinateur de cour appointé par Louis XIV, Monsieur de Saint-Aubin définit le rôle du dessin comme « la base et le fondement de la broderie, qui détermine les formes et la belle distribution ; il donne de l’harmonie, règle les proportions, ajoute un nouveau mérite à l’ouvrage ». Pour mettre le dessin en valeur, on brode en « ronde bosse » des motifs bourrés qui évoquent la sculpture. Au fil des années, les procédés d’exécution se perfectionnent : des plaques d’or ou d’argent sont insérées dans les compostions, de même que sont utilisés l’or nué, le passé, les couchures, les gaufrures, le satiné, les perles, la chenille, la soie. Si les « chasubliers » rivalisent de savoir-faire, leurs ouvrages perdent le cachet particulier aux oeuvres du Moyen Age. L’art sacré, d’abord authentique, devient ostentatoire, sacrifiant l’esprit de piété et d’adoration à la richesse temporelle. Tout en conservant la tradition plus que toute autre institution, l’Eglise évolue néanmoins ; la broderie sacrée s’inspire de l’art des ornemanistes, qui dessinent pour l’ensemble des arts décoratifs et suivent les grands courants artistiques.

A lire sur le site : http://www.anniecicatelli.com


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Anniecac 1850 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte