Comme tout le monde, j'ai tendance à réduire la conscience à la vie. Est doué de conscience ce qui est animé. "Tout est conscience", mais seuls les êtres doués de conscience ont une vie interne, capable d'évoluer en une vie intérieure.
Or, la chose n'est peut-être pas aussi certaine.
On dit que la transmigration, le cycle des réincarnations, ne concerne que ces êtres bien vivants, ceux du règne animal : les dieux, les démons, les humains et les autres animaux. Cela semble très ouvert. Mais certains enseignements nous invitent à élargir encore davantage.
Parmi ces esprits larges, il y a le Yoga selon Vasishta, dont j'ai traduit une version abrégée. Dans ces Mille et une nuits de la non-dualité, toute chose peut cacher un être doué de conscience. Non seulement les animaux, mais encore les plantes, et même les pierres, les montagnes et l'espace. Le vide est peuplé, il n'est pas vide. Y habitent des "monades" (anu) qui sont des êtres doués de conscience. Nous ne les voyons pas, ils ne nous voient pas. Mais ils vivent, ils sont des individus soumis à l'aveuglement dualiste. Ils peuvent donc atteindre la délivrance, l'éveil.
Certes, leur expérience est rudimentaire, comparée à la notre. Mais cela suffit, et d'autres êtres sont plus complexes que nous, sur d'autres mondes, dans d'autres dimensions. Ainsi, selon Vasishta, les étoiles sont des individus, avec leur histoire et leur personnalité. Il est possible de se réincarner en un soleil. Et il est possible d'atteindre l'éveil spirituel en tant que soleil. Il existe d'ailleurs des récits d'étoiles qui s'éveillent.
Inversement, des dieux créateurs de mondes entiers peuvent rester soumis à l'aveuglement de l'ego, de l'imagination, de l'illusion d'une réalité, à commencer par la réalité du monde qu'il créent, et dans lequel les êtres qu'ils rêvent, rêvent à leur tour d'autres mondes, dans lesquels d'autres êtres rêvent aussi, et ainsi de suite, à l'infini...
Vasishta le dit explicitement : il y a des éveillés parmi les insectes et il y a des imbéciles parmi les dieux. La clé a deux facettes : l'audace et l'esprit critique. Peu importe le statut et le rang, seul compte la capacité à interroger les évidences. Ce yoga de la connaissance est lui-même très audacieux, n'hésitant pas à détrôner les dieux de l'Inde.
Il raconte même l'histoire d'un virus, celui du choléra, qui atteint l'éveil. Un virus, un être a mi-chemin entre l'inerte et le vivant. Ainsi, nous baignons littéralement dans des océans d'âmes qui contiennent, chacune, d'autres océans d'âmes, à l'infini. Notre monde est lui-même le rêve d'un individu, qui lui-même est rêvé par un autre, sans fin.
La beauté de cette vision est que tout est possible. Si tout est conscience, il n'y a pas de loi absolu, pas de principe, rien de donné "avant" la conscience. Donc tout est possible. La conscience est partout. Elle peut s'individualiser, s'incarner, partout.
Cette vision est vertigineuse, n'est-il pas ?