Papotages sur Gauz' ou le discours sur le capitalisme
Debout-payé a été un sacré coup de coeur, il y a cinq ans. Pour une raison fondamentale : Gauz' posait un regard caustique sur la société française par le biais de son sur-consumérisme. Qui mieux qu’un zangouli (un debout-payé, un vigile) pour désosser l’absurde d’une société qui n’existe que par sa faculté à manger, absorber des biens de consommation. Introduire la capitalisme et ses méfaits devrait être une préoccupation pour celles et ceux qui se préoccupent du sort de notre planète. Mais, peut-être faut-il un peu de muscle pour le faire. Surtout qu'un debout-payé n'est pas sensé parler. Le positionnement idéologique de son travail est quelque chose de savoureux et de courageux. C’est aussi unique en littérature africaine, une analyse des rapports nord sud par le prisme du fait moteur, du levier de prédation qu’est l’augmentation du capital pour les grandes sociétés occidentales. Camarade Papa, de ce point de vue constitue une première étape de cette démarche. Trêve de bavardage, j’aime Gauz pour ses tee-shirts moulant avec des effigies rouges nous renvoyant aux grandes heures des partis communistes vietnamiens, chinois ou cubains.Le capitalisme est au coeur de ce roman Cocoaïans. On parle de la naissance de la notion chocolat que Gauz mal nommé Côte d'Ivoire. il y a dans cet intitulé Cocoaïans, un questionnement du sens de l’histoire et des mots. N’est-il pas écrit "Au commencement était la parole » dans l’Evangile de Jean ? En prenant au pied de la lettre, le texte biblique, on comprend l'enjeu de la littérature. Nommer. Porter. Orienter. Déconstruire les mauvais mots, les mauvais discours, comme celui d’un gars qui ressemble à Houphouët Boigny et qui est nommé Djaha.
« La France s’en va ! Elle n’a plus le droit de mât, elle débande. Descendre vite ses trois bandes, en monter trois nouvelles. Bleu-blanc-rouge est remplacé par orange-blanc-vert. La foule est confuse. Dans la forêt, depuis des temps qui ont perdu la mémoire, il n’existe pas plus de trois mots pour désigner toutes les couleurs en dehors du blanc et du noir. Bleu et vert portent le même mot. Rouge et orange portent le même mot. Et ce que les mots disent, c’est ce que les yeux voient. La foule est confuse. Sur le nouveau drapeau qui monte, elle entonne encore une Marseillaise en attendant l’Abidjanaise, la nouvelle élue des drapeaux » (p.75)
Papotages sur Cocoaïans ou l’art de bien nommer les choses
Dès le départ de cette oeuvre littéraire, Gauz pose les intentions du projet colonial et le moyen de le rendre pérenne par l’assujettissement de l’autre par le moyen de parole et la sape de son imaginaire.« Techniquement, il ne faut pas grand-chose pour posséder un pays. Il ne faut même pas une armée contrairement à ce que pense tout le monde. […] La première des choses pour être maître d’un pays, c’est de dire qu’on le veut » Parole d’un mort nommé Marchand (NDLR). « On le rabâche dans des discours-fleuve, des articles interminables, des débats oiseux, des livres stylés et plein de trucs qui remplissent les esprits » (p.17).C’est tellement pertinent. A quel point, saisissons-nous les enjeux de cette bataille de l’esprit quand Faidherbe, Jamot, De Brazza, Binger ou Treich trônent si tranquillement sur la tête des écoliers sénégalais, camerounais, congolais ou ivoiriens ? L’écrivain ivoirien nous propose d’explorer près de cent ans de l’histoire et des gestes inamicaux de Marchand et ses sbires, d'abord colon, puis agent infiltré avant d'être un homme du FMI. C’est une fiction, il fait ce qu’il veut, Gauz, à chacun de comprendre son intention. L’impérialisme, le colonialisme et le néo-colonialisme, trois faces des rapports entre la France et Les mots ont donc pour objectif de détruire les cycles, de dissoudre dans l'acide chlorhydrique l'intériorisation du discours de l'ancien maître pour définir sa propre parole.
Définir, nommer, s’approprier. C’est une constante dans ce roman quand plus tôt, en page 29, il est écrit :
« Habiter une ville qui porte le nom d’un homme mort pour asservir les siens n’est pas la seule hérésie à araser. Il y a ces vies empilées les unes sur les autres, ces tours informes, phallus prétentieux d’un monde où la verticale dicte le règne absolu de la hiérarchie » (p.29)En répondant, au cours de l’émission littéraire Les Lectures de Gangoueus, à la question de savoir si le terme Cocoaïans pour parler de la Côte d’Ivoire ne constituait pas une forme d’esquive et empêchait de parler frontalement de son pays, Gauz répond avec vigueur que justement « Cocoaïans correspond à la réalité de ce pays, alors que Côte d’Ivoire est un non sens dans un espace où il n’y a plus d’éléphants ». On reconnait le propos provocateur à souhait de l’écrivain ivoirien.
Papotages sur la colonisation, poursuite de Camarade Papa
Dans cet instant, Gauz rappelle une évidence qui n’est pas propre aux ivoiriens. Son discours dépasse la Côte d’Ivoire, puisqu’au Congo, les autorités ont poussé le ridicule en construisant dans les années 2000, une statue à la gloire de De Brazza et en « rapatriant la dépouille de ce dernier dans la terre qu’il a acquise par la plus belle des arnaques. Déjà, en 1991, la société civile congolaise débaptisait à la Conférence nationale la troisième ville du pays Loubomo pour redevenir Dolisie, un des meilleurs « explorateurs » français pour être soft. Le second versant de son propos nous rappelle que l’appropriation du modèle économique imposé se perpétue par ses constructions et son organisation. Il questionne la complexité à redéfinir un espace pour servir une ancienne puissance. Ainsi la non maîtrise de la production du cours de la production de cacao, son absence de transformation est une conséquence logique. Les anciens planteurs locaux de cacao ont « supplanté » les maîtres français, mais 40 ans après les indépendances, ils ne maîtrisent pas son exploitation.On ne me dira surtout pas que la Côte d’Ivoire manque de personnes qualifiées pour changer la donne. Mais la question de fond reste la compromission des élites. Celles même qui ont poussé à la révolte, organisées les premiers parties « indépendantistes » comme le RDA qui va faire des petits partout en Afrique francophone, mais qui, dans le fond ne sont devenus que des Goba-Diouf, des laquais au service des anciennes puissances coloniales et des multinationales aujourd’hui. Là encore, Gauz' épingle et met en scène cette faillite dans un échange instructif entre Djaha et sa soeur.
Papotages sur l’éducation ou l’art de transmettre une nouvelle lecture de l'histoire
Aussi, un père décide de raconter l’histoire économique de son pays à sa fille. Ce dialogue, parmi les nombreux dialogues de ce roman, est riche. La petite est mignonne et dégourdie. Cette dernière prend son père à son propre jeu et le pousse dans les retranchements de ces discours idéologiques. Il va avec pédagogie jusqu’à rappeler des personnages de Charlie et la chocolaterie, un roman de Roald Dahl, adapté au cinéma par Tim Burton pour signifier les tenants et les aboutissants de ce produit de consommation de luxe, de cette drogue de luxe. Comme Gauz sait jouer, il osera la comparaison avec la production de cocaïne en Amérique du Sud, avec une valeur ajoutée pour la chaine de valeurs qui est totalement locale avant l’’importation du produit. Poudre de coca, poudre de cacao, même combat.« Notre mission est de faire en sorte que plus aussi un sac de fèves de cacao ne quitte ce pays. L’Occident devra nous acheter exclusivement de la poudre de chocolat comme il achète de la poudre de cocaïne » (p.105)
La question que je me suis posée en lisant ce roman est de savoir quel est le meilleur lieu pour redéfinir les choses, les maux cycliques. La littérature, peut-être pour peu que la forme soit excellente comme pour ce roman et sa distribution ensuite. L’éducation au sein de la famille.
Pour terminer, il ne s’agit cependant pas de papotages, loin de là. Au contraire, l’analyse de Gauz’ est profondément, les éléments de langage sont des moyens d’éprouver le désir de posséder un lieu ou pas, le désir de s’accorder une vision propre d’un espace et des composantes qui l’occupent. Gauz’ comme tout écrivain qui se respecte a compris la bataille des mots, la délivrance nécessaire des mots létales et la nécessité de transmettre un réel champ des possibles nouveau.
Gauz', Cocoaïans (Naissance de la notion chocolat)L'Arche Editeur, 106 pages, première parution en 2022En ligne, sur Sud Plateau TV, l'émission Les lectures de Gangoueus consacrée à ce roman