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Wagner chez les Pygmées à l'Opéra Bastille. (Jean Clair)

Par Jmlire

" Admirable Waltraud Meier dans le rôle d'Isolde. À la fin du dernier acte, on est au bord des larmes. Derrière elle, hélas, et vingt fois plus grands qu'elle, il y a les écrans où Bill Viola projette sa vision du Tristan.

J'entends encore les paroles extasiées de mes collègues à Venise, vantant le génie de cet artiste prétentieux et médiocre, quand je ne vois ici qu'une apothéose du kitsch.... Il y a une vulgarité dans cette succession de corps nus qui s'enlacent au ralenti, et dont, aucun pli du ventre ni aucun poil au menton ne nous est épargné. Cinquantenaires adipeux, ils ressemblent à des rescapés du San Francisco gay et lesbien que j'ai connu... À Montréal, on dirait "niaiseux" cet art qui semble avoir été inspiré par l'esthétique des clips publicitaires pour eaux minérales et pour crèmes de jouvence.

Je suis frappé chaque fois par la laideur absolue de l'Opéra-Bastille. Comparé à la Fenice ou au San Carlo, fruits d'un Pouvoir éclairé, le bâtiment démontre cruellement l'impossibilité des républiques et des personnages éphémères qui les dirigent à devenir des maîtres d'ouvrage. Médiocrité des matériaux, volumes staliniens, parcours vertigineux - ah ! les escaliers dont il a fallu masquer le vide par des filets ! Ah ! les marches ! étroites et mal taillées, sur lesquelles les dames trébuchent... -, acoustique désastreuse, ambiance lugubre, on sait tout cela. Deux traits suffisent à démontrer la sottise du projet. Les toilettes pour homme : dès la porte poussée, quand partout ailleurs on surprend des dos alignés, vous vous trouvez mis là face à ceux qui pissent et sans rien pouvoir ignorer. Et puis la façade noire, aveugle ! Elle tourne le dos, elle, à ce qu'elle devrait honorer : de sa hauteur devrait se découvrir l'un des plus beaux panoramas de Paris, jusqu'à Sainte-Geneviève, la Cité, Notre-Dame, le Marais. Mais l'on n'en peut rien voir. Frustré, le spectateur erre, pris dans des couloirs étroits et biscornus, sans rien pour se détendre, s'asseoir ou se restaurer. Commander un verre suppose une patience infinie, prendre son tour en silence. Comme si les Parisiens ne s'étaient jamais guéris des queues devant les boutiques pendant la Guerre. Les queues, il est vrai, sont devenues, selon la préciosité ridicule qui désormais pourrit la langue, des "files d'attente" dont il faut mériter la place. Mentalité punitive et contristée propre à la France. Partout ailleurs, aller au théâtre, au concert, à l'Opéra, est un acte social, convivial et heureux. On parle, on mange, on boit et on rit. À Paris, si l'on aime la musique, on doit être puni. Au coin, ou à la queue, comme tout le monde..."

Jean Clair : extrait de "Journal atrabilaire", Éditions Gallimard, 2006. Du même auteur, dans Le Lecturamak :

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