En me promenant dans ma librairie habituelle, je suis tombée par hasard sur ce petit livre dont le titre m’a intriguée, par sa référence à un vin français – je devrais plutôt dire un grand cru millésimé ! – et l’idée de lire un roman japonais où il serait beaucoup question de la France et de ses traditions viticoles et culinaires me paraissait plutôt sympathique et rentre bien dans le thème du voyage que j’explore ce mois-ci !
Je vous propose donc cette fois d’observer la France avec le regard d’un voyageur japonais…
Note pratique sur le livre :
Editeur : Picquier Poche
Date de parution originale : 1973 (au Japon)
Date de parution en français : 1993 (1996 en poche)
Traduit du japonais par Anne Bayard-Sakai et Didier Chiche
Nombre de pages : 68 pour la première nouvelle, 35 pour la deuxième.
Note biographique sur l’auteur
Takeshi Kaikô, né en 1930 et mort en 1989 à l’âge de 58 ans, est un romancier, essayiste, nouvelliste, journaliste et scénariste japonais. Ecrivain globe-trotter il rapportera de ses périples en Chine, en URSS et dans le Paris de 1968 des reportages d’une grande acuité. Il remporte le prix Akutagawa en 1957.
Quatrième de Couverture
A Tôkyô, un dimanche après-midi, deux hommes absorbés dans la dégustation cérémonieuse d’une vieille bouteille de bourgogne Romanée-Conti 1935, usant de gorgées comme ponctuations, poursuivent jusqu’à la lie le long texte désordonné de leurs souvenirs.
Voici une lecture éblouissante de la vie : on plonge avec délices dans l’intimité d’un grand vin, dans le secret de rêveries amoureuses, riches de la saveur d’un amour endormi, d’une femme aux contours effacés et au parfum évanoui.
Mon humble avis
Ce très court roman – ou longue nouvelle – est très agréable à lire grâce à une écriture qui privilégie les notations sensuelles et la suggestion de plaisirs gustatifs et amoureux. L’auteur excelle à l’évocation de saveurs, à la description de certaines sensations plus ou moins agréables et parfois ambiguës, nous laissant comprendre qu’il peut exister une pointe de déplaisir dans les expériences les plus délicieuses – et, sans doute, inversement, une once de plaisir dans les contacts a priori désagréables.
Au-delà de cet aspect purement sensitif et charnellement hédoniste, il y a aussi dans ce livre une réflexion sur le temps qui passe, sur l’Histoire et sur le sens de la vie, avec un rappel à la mort inéluctable qui apparaît à plusieurs reprises au cours de cette histoire, de manière inattendue, telle cette curieuse danse macabre du milieu du livre, comme un contrepoint nécessaire à chaque plaisir, en tant que prélude ou conclusion.
Ce livre est aussi intéressant par une certaine vision de la France du 20ème siècle à travers le regard d’un homme japonais gourmet, esthète et cultivé. Ainsi, il nous décrit le Paris des années 70, les Halles, le Quartier Latin et ses petits bistrots propices aux rencontres, mais aussi certaines villes des Côtes du Rhône, de Bourgogne, etc.
Un livre que j’ai bien aimé, malgré sa brièveté !
Un Extrait page 32
(…)
– Ca y’est, je me souviens. Ca m’est revenu en t’écoutant. J’ai oublié de te dire que j’étais non seulement allé en Bourgogne ou dans le Bordelais, mais aussi dans la région de Cognac. Des fûts, en nombre infini, y dorment, dont s’évapore tous les jours une petite quantité de cognac. Il parait que ça représente en degré d’alcool l’équivalent de ce qui se consomme chaque jour en vin dans toute la France. L’équivalent de vingt-cinq mille bouteilles, m’a-t-on dit. Enfin, quoi qu’il en soit, tu vois le sigle V.S.O.P. qui figure sur les bouteilles de cognac ? Ce sont les initiales de Very Superior Old Pale, mais on m’a signalé que ça pouvait aussi être celles de Vieux Sans Opinion Politique. Je m’en suis souvenu en t’écoutant. Le Japon a été vaincu, l’Allemagne, l’Italie ont été vaincues elles aussi, le Front populaire a sombré en un an. Les Procès de Moscou étaient une sinistre mascarade. Le Parti communiste chinois a fini par s’emparer de tout le territoire chinois. Et pendant tout ce temps-là, cette bouteille dormait. Indifférente aux opinions politiques. Depuis 1935, elle a vieilli d’un an chaque année en dormant. Elle se consacrait à ça. Elle mérite elle aussi le nom de V.S.O.P. C’est un vin à boire en dégustant l’Histoire. (…)