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Le puits d'où jamais rien ne remonte. ( John Steinbeck )

Par Jmlire

Le puits d'où jamais rien ne remonte. ( John Steinbeck )John Steinbeck

" Bien rares sont ceux qui ayant changé de direction, ne passent pas la première partie du nouveau parcours à regarder par-dessus leur épaule. Hazel avait choisi, avait été forcé de choisir une voie nouvelle. Il avait dit : " Je m'en chargerai tout seul." Cela lui avait semblé facile mais, assis sous le cyprès, il dut admettre qu'il n'avait pas la moindre idée de ce que cela représentait . Il repensa avec mélancolie à l'époque où on s'occupait de lui et où on l'aimait. Évidemment, la rançon de cette béatitude avait été un certain ridicule mais c'était une époque agréable et heureuse. Doc avait dit bien longtemps avant : " J'aime t'avoir à côté de moi, Hazel. Tu es le puits. On peut te confier ses plus chers secrets. Tu n'écoutes ni ne te souviens et, si cela t'arrive, ça n'a pas d'importance, puisque tu ne fais pas attention. Je dirais même que tu es mieux qu'un puits, car tu écoutes sans entendre. Tu es un prêtre sans punition, un médecin sans diagnostic."

C'était le bon temps, le temps qui avait précédé le choix d'Hazel. Il s'était décidé à prendre des responsabilités, mais il fallait pour cela juger et choisir. N'est-ce pas la même chose que penser ? Hazel se décida donc à penser, mais secrètement. Personne ne le sut. Il eut un peu honte. Dans le bon vieux temps, il se serait assis sous le cyprès et, en moins d'une minute, son front serait tombé sur ses genoux, et il se serait endormi. Mais le nouvel Hazel enserrait ses genoux de ses deux mains crispées et il envisageait un avenir sombre. Ses pensées gravissaient la pente intérieure d'un cratère de sable, comme une fourmi qui retombe sans cesse mais ne s'arrête pas pour autant.

Il fallait prévoir, juger, choisir. Et le sommeil ne venait pas. Il ne lui vint même pas l'envie de se gratter. Il fallait agir. Dans quel sens ? Il ne sut jamais comment la solution lui apparut. Sa tête tomba sur ses genoux, puis soudain ses muscles se contractèrent comme après un coup. Il eut l'impression de tomber et son chemin fut tracé devant lui. Ce n'était pas un chemin bien honnête, mais c'était le seul. Cela ressemblait presque à une trahison.

Il faut se rappeler qu'une des plus grandes qualités d'Hazel était de poser des questions sans écouter la réponse. Les gens s'attendaient à cela et s'y fiaient. " Supposons, pensa-t-il, que je pose une question et que j'écoute la réponse sans laisser voir que je l'ai écoutée;" C'était assez tortueux, mais l'intention était pure et la fin justifiait les moyens.

Non seulement il écouterait, mais il se souviendrait et il ferait la somme de toutes les réponses. Peut-être alors serait-il capable d'agir. Une question suffirait peut-être, deux au plus.

Hazel fut épuisé après cet effort. Sa tête dodelina et il s'endormit du sommeil de celui qui a accompli sa tâche..."

John Steinbeck : extrait de "Tendre jeudi", Les Éditions Mondiales, Paris, 1956.

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