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Des Poèmes japonais contemporains

Par Etcetera
Des Poèmes japonais contemporainsCouverture chez Picquier

Ces poèmes sont extraits du livre « 101 poèmes du Japon d’aujourd’hui » paru chez Picquier en 2014 dans une traduction de Yves-Marie Allioux et Dominique Palmé.

Résumé de l’éditeur :

 » Les 55 poètes dont les œuvres figurent dans ce recueil sont, en toute objectivité, les plus éminents représentants de la poésie japonaise contemporaine. C’est évidemment au lecteur que revient la liberté d’apprécier les 101 poèmes présentés ici, mais une chose est sûre : on a retenu, pour chaque auteur, le texte qui semblait mettre le mieux en valeur l’originalité de son écriture. Des œuvres majeures qui eurent un grand retentissement à l’époque de leur publication, au point d’alimenter les polémiques, et qui marquent des étapes essentielles dans l’évolution de la poésie au cours des dernières décennies. »

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Poèmes Extraits du livre

Ôoka MAKOTO
(né en 1931)

CHÔFU V

Vivre en ville
C’est posséder quelque part en ville un endroit que l’on aime.
C’est savoir qu’il y a quelque part en ville une personne que l’on aime.
Sans cela, on ne pourrait pas vivre.

L’enfant a beau grandir à vue d’œil
Son père, lui, n’a pas conscience de vieillir
Jusqu’au jour où, soudain, cette inconscience le terrifie
Etranger croisé dans la rue, inconnu qui n’est autre que soi-même

De moi-même je me suis perdu et j’erre au loin
Mais quelque part en ville je cache un endroit que j’aime.
Je cache une personne que j’aime. Sans en avoir l’air.
Ainsi donc, je suis « chef de famille ».

Puis un jour la nuque de mon fils qui déplie le journal en silence
Se détache toute fine dans la lumière du matin, et sa vue m’emplit de tendresse
Surprise proche du chagrin.
 » Akkun, atteindras-tu bientôt toi aussi l’âge où l’on part à la guerre ? »

(1981)

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Rin ISHIGAKI
(née en 1920 – morte en 2004)

CORBICULA

Au milieu de la nuit je me suis éveillée.
Les petites coques achetées la veille au soir
Dans un coin de la cuisine
Bouche ouverte vivaient encore.

« Quand viendra le matin
Toutes autant que vous êtes
Vous allez y passer ! »

D’un rire de vieille sorcière
Je me suis mise à rire.
Après quoi
Bouche entrouverte
Pour cette nuit du moins il ne me restait plus qu’à dormir.

(1968)

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Noriko IBARAGI
(1926-2008)

LORSQUE J’ETAIS UNE JEUNE FILLE EN FLEUR

Lorsque j’étais une jeune fille en fleur
Les villes s’écroulaient avec fracas
A travers d’incroyables endroits
On entrevoyait parfois un bout de ciel bleu

Lorsque j’étais une jeune fille en fleur
Autour de moi beaucoup de gens moururent
Dans les usines en mer sur des îles inconnues
Et je perdis alors toute chance de me faire belle

Lorsque j’étais une jeune fille en fleur
Personne ne m’a gentiment fait présent du moindre cadeau
Les hommes ne connaissaient rien d’autre que le salut militaire
Tous partaient en laissant derrière eux leur seul beau regard

Lorsque j’étais une jeune fille en fleur
Mon cerveau restait vide
Mon cœur s’était fermé
Seuls brillaient tout bronzés mes mains et mes pieds

Lorsque j’étais une jeune fille en fleur
Mon pays a perdu la guerre
Non mais y a-t-il rien de plus bête !
Retroussant les manches de mon chemisier je me mis à arpenter fièrement la servile cité

Lorsque j’étais une jeune fille en fleur
Les radios déversèrent soudain des flots de jazz
Et prise de vertige comme en fumant une cigarette interdite
Je dévorais cette douce musique venue d’une contrée étrangère

Lorsque j’étais une jeune fille en fleur
J’étais très malheureuse
Je nageais en pleine confusion
Je me sentais affreusement triste

Aussi ai-je pris le mors aux dents bien décidée à vivre le plus longtemps possible
Tard dans sa vie n’avait-il pas peint des tableaux rudement beaux
En France, le vieux Rouault ? Eh bien je ferai comme lui !
Oui comme lui !

(1958)

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