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Vers la mère, de Lorena Salazar, traduction d'Isabelle Gugnon (éd. Grasset)

Publié le 17 février 2023 par Onarretetout

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L’essentiel de ce livre se passe sur l’Atrato, un fleuve colombien sur lequel nous embarquons à Quibdó pour aller à Bellavista. Le voyage va durer plusieurs jours. À la sortie de la ville de Quibdó, c’est la jungle. Dans la pirogue, il y a une dizaine de personnes, dont cette femme blanche, la narratrice, et son enfant noir, en réalité l’enfant d’une femme noire qui n’a pas pu le garder avec elle et l’a confié à cette femme blanche. Aujourd’hui, elle a souhaité revoir l’enfant. Nous voguons et les discussions s’engagent, des liens se créent. La narratrice, répondant d’abord aux questions de sa voisine, dit ce qu’est être mère pour elle, qui n’a pas porté dans son ventre l’enfant qui l’appelle Ma. Elle appréhende ce qui va se passer là-bas, à Bellavista, quand l’enfant va voir sa mère biologique. Et, durant le trajet, sur les rives, des armes se font entendre. On ne sait pas qui tire. On les oublie parfois, pris dans le filet des pensées de la narratrice : l’enfant qui grandit, qu’elle aime et qui l’aime, les fleurs, les couleurs, les fruits, la pauvreté qui oblige à faire attention à tout, ses propres souvenirs d'enfance, et l’incertitude de l’issue de ce voyage. Et, comme le bruit des armes plus ou moins proche, l’inquiétude affleure dans le récit.

Voyez le fleuve décrit dans les premières pages :
« La ville s’est édifiée sur la rive droite du fleuve et étendue au point de rejoindre une jungle qui, en échange de cette invasion, réclame ses droits et son espace en gorgeant les murs d’humidité et en les couvrant de moisissure. À Quibdó, l’Atrato sent le poisson saumuré, l’orange et le bois mouillé. De vieilles maisons veillent sur son lit profond, des femmes et des enfants lavent du linge le long des berges. À cet endroit il est encore jeune ; il naît au Carmen de Atrato et meurt dans la mer des Caraïbes. Il assure la subsistance des habitants de Quibdó, qui y pêchent, y naviguent en chantant et lui adressent des prières. C’est un large bras de terre noire.
Une fois dans la jungle, il ne miroite pas comme l’Amazone, ne ressemble ni à la verte Cauca ni au Magdalena, qui traverse le pays, tumultueux et plein d’écume. Tantôt brun, tantôt cannelle, il a l’odeur des albums de photographies qu’on ouvre après les avoir longtemps oubliés. »

Cette description annonce en sourdine le climat de ce que nous allons lire. Le titre en espagnol, esta herida llena de peces, peut être traduit ainsi : « cette plaie pleine de poissons ». C’est un pays où les enfants apprennent à l’école des chants pour honorer les morts. Ouvrons l’album de photographies, pour ne pas oublier.

Bien que cela ne soit pas mentionné, le récit se situe certainement en 2002, il s’y réfère en tout cas. Je me souviens avoir lu, il y a environ six mois, une enquête d’Émilienne Malfatto qui concerne un autre aspect de la Colombie, quelques années plus tard, en 2019, dans la Sierra Nevada : Les serpents viendront pour toi.


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