« Dès lors qu'elle fut une graine dans le ventre de sa mère, Marie fut façonnée par les autres, sa mère, ses tantes féroces, ses livres, son argent; la reine eut plus d'influence dans la création de Marie en l'envoyant à l'abbaye que Marie elle-même. On lui a tout donné, et pas seulement la bénédiction d'être laide, et elle ne cessera jamais de lui répéter qu'elle serait aujourd'hui poussière et pourriture, sa cage thoracique rongée de vers rampants, si elle n'avait pas eu l'heur de naître si disgracieuse. »
Cinq ans après Les Furies, Lauren Groff nous entraîne au XIIe siècle, dans un couvent de nonnes en Angleterre, et réinvente la vie de la poétesse Marie de France.
Elle réussit à construire autour de cette figure fascinante une biographie pleine de problématiques d'aujourd'hui
Dans une abbaye plantée sur une île crasseuse d’Angleterre, Marie de France, « bâtarde de sang royal» est envoyée seule, à cheval et à 17 ans.
Sa colère profonde, son orgueil rebelle et la vingtaine de visions qu’elle reçoit guideront ses idéaux et ambitions radicales à travers un monde sale et violent, dont elle décide de tenir à l’écart ses filles et femmes.
"La pression de la hiérarchie sur les religieuses est quotidienne, écrasante. Marie apprend à reconnaître le pas de certains supérieurs du diocèse dans les couloirs, car ils sont chaussés de bottes, pas des sabots des femmes de l'abbaye, et dès qu'elle les entend, elle bondit et s'esquive en silence dans les coulisses, laissant Emme dans ses brumes, car après tout c'est encore elle, l'abbesse, qui doit se débrouiller avec les exigences, les règles, les pressions pour obtenir de l'argent, les requêtes sans fin pour que les moniales offrent leur temps, leurs prières, leurs efforts, toutes choses auxquelles Emme acquiesce avec affabilité, et dont elle oublie ensuite commodément d'informer Marie. "
Marie ne cessera dès lors d’aller de l’avant, pour transformer les choses, guidée par son instinct sûr.
Matrix est un un texte vivant intimiste et charnel porté par une ecriture fiévreuse, mystique et sensuelle qui affranchit les femmes de leur soumission à l'ordre divin . Matrix est aussi et surtout un roman percutant sur la sororité, sur une femme qui fut sans doute l’une des premières féministes de l’histoire …
" Car c’est une vérité profonde et humaine que la plupart des âmes sur la terre ne sont pas à l’aise à moins qu’elles ne se trouvent en sécurité entre les mains d’une force bien plus grande qu’elles-mêmes. »
Une histoire fascinante de sororité, sur le pouvoir et la foi et le désir et la frustration et la liberté.
Matrix, de Lauren Groff, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Catherine Chichereau (Ed. de L'Olivier, 304 p., 23,50 €)