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Insight or not insight?

Publié le 27 février 2023 par Lana

Je viens de lire un article (http://www.alainbottero.fr/insight-et-psychose/) passionnant sur l’insight dans la psychose.

On dit en effet souvent que les psychotiques manquent d’insight, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas conscience de leurs troubles. On dévalorise même la parole de certains parce qu’ils en ont trop. En effet, on ne pourrait pas être de « vrais » psychotiques si on a un bon insight, et donc notre parole n’aurait pas à être prise en compte quand on parle de psychose (notez que celle des psychotiques ayant un faible insight n’a pas à être prise en compte non plus puisqu’ils sont trop fous pour en parler).

Je crois que cette croyance en un défaut d’insight dans la psychose mène à de nombreuses maltraitances.

On a souvent refusé de me soigner, ou mal soignée, parce que je m’exprimais trop bien. En effet, un vrai psychotique ne sait pas s’exprimer, apparemment. A 20 ans, pendant un jour et demi, une voix dans ma tête m’a persécutée, j’ai dû la tuer en lui fracassant la tête dans l’évier, l’ensanglantant et la noyant. Je ne sais pas comment relater cette expérience qui fut très éprouvante, alors à la psychiatre je l’ai fait comme je l’écris ici, omettant le passage (la métaphore, si vous voulez) sur le combat dans la salle-de-bains. Comme je ne savais pas identifier cette voix et que je m’exprimais bien, la psychiatre en a conclu que je n’étais pas psychotique et que j’entendais ma propre voix. Genre, à 20 ans, je découvrais qu’on avait une voix intérieure. Alors que pas du tout, cette voix était persécutrice et aliénante, rien à voir avec ma voix intérieure habituelle.

A force d’entendre que les psychotiques n’ont pas d’insight, on finit aussi par souffrir du syndrome de l’imposteur. En effet, puisque je me rends compte de mes troubles, c’est que je ne suis pas psychotique. Et si je ne suis pas psychotique mais que j’ai des symptômes psychotiques, c’est que je fais semblant. Et si je fais semblant, je ne mérite pas d’être soignée. CQFD. Oui, c’est vrai, une partie de moi était détachée de ma folie, effarée par moment. Quand j’ai balancé partout dans la pièce la tête de Jésus que j’avais achetée pour me protéger parce qu’elle ne répondait pas à mes attentes, quand une fois cassée, j’ai fait une crise parce que Jésus allais se venger, alors que je suis athée, je me rendais compte de la bizarrerie de mon comportement, mais je ne pouvais l’empêcher. De l’extérieur, j’avais l’air d’une folle, de l’intérieur, je ne l’étais qu’à moitié (ou au trois-quarts, ou au neuf dixièmes, je ne sais pas). A cette période, je me demandais si j’étais vraiment folle, puisque je ne l’étais pas totalement. Ayant aujourd’hui retrouvé une bonne santé mentale, je sais que je ne faisais pas semblant. Pourquoi aurais-je singé la folie (sans public, faut-il le dire)? Pourquoi sécher les cours pour détruire une tête de Jésus, arpenter la ville avec l’obsession de trouver un couteau de boucher pour me tuer, écrire sur ma cuisse le nom de la personne (imaginaire) qui m’accompagnait pour la retenir, courir dans d’immenses couloirs poursuivie par la mort, et sans jamais en parler à personne? Quand tout ce que je voulais, c’était de la tranquillité?

De ce défaut d’insight, on passe vite à la croyance que les psychotiques ne ressentent rien. Il y a plusieurs années, une stagiaire m’a confiée sur ce blog qu’une infirmière lui avait dit de ne pas caresser la joue d’un patient allongé, parce que « de toute façon, ils ne ressentent rien ». Certains croient aussi qu’on n’a pas d’émotions. Alors que je n’ai jamais eu d’émotions aussi violentes que quand j’étais en crise. Si on n’a pas d’émotions et qu’on ne ressent rien, alors pourquoi lutter contre les maltraitances psychiatriques? Puisqu’elles ne nous toucheraient pas? Quand je raconte mon hospitalisation (qui a été très soft par rapport à d’autres), beaucoup ne comprenne pas le choc qu’elle a créé en moi. Je pense que si je la vivais maintenant, ce ne serait pas du tout la même chose, je veux dire dans l’état psychique dans lequel je suis. Parce qu’il faut se rappeler que j’étais dans un état psychique totalement dégradé (oui, en général c’est pour ça qu’on est là et c’est un peu dommage que certains soignants ne le comprennent pas). Par exemple, j’étais transparente et on m’obligeait à me déshabiller devant trois personnes. Je ne savais plus qui j’étais et on me donnait un uniforme. Etc. A l’époque, parler à quelqu’un était pour moi une épreuve, prendre un bus bondé un enfer, marcher dans la rue me sentir transpercée de regards malveillants. Chaque chose banale était une violence. Alors imaginez ce qu’était une chose objectivement choquante comme arriver dans un service de psychiatrie fermé où vous êtes infantilisé et déshumanisé. Et encore, je le redis, je n’ai vécu que des violences ordinaires, pas d’isolement ni de contention qui peuvent laisser de véritables traumatismes.

J’en aussi souvent entendu dire que les psychotiques n’avaient pas besoin de thérapie par la parole ou n’y étaient pas accessible. Toujours ce défaut d’insight. Alors que oui, les médicaments m’ont aidée à réduire les symptômes, mais je ne me suis pas rétablie grâce à eux, mais grâce à la psychothérapie et surtout à l’entraide avec mes pairs. En parlant, donc, en partageant mon vécu.

Et pour finir, remettre sur le manque d’insight le refus de certains traitements est bien trop facile. Ce n’est pas parce qu’on refuse un traitement quel qu’il soit qu’on manque d’insight, mais peut-être parce qu’on a réfléchi à ce qu’on voulait ou ne voulait pas pour nous. Et oui, on peut se tromper parfois, mais pas toujours. Je lisais il y a quelques temps sur twitter une infirmière déplorer que quand elle amenait des patients aux électrochocs, ses collègues de somatique les traitaient de dingos. Puis elle disait plus loin qu’un patient qui refusait ce traitement manquait d’insight, leur déniant elle aussi leur libre arbitre. J’ai refusé plusieurs traitements et ce n’était pas par manque d’insight: j’ai refusé de voir des psychiatres parce que les deux premiers m’avaient méprisée, j’ai un temps refusé les psychotropes parce que j’en avais peur, je refuse certains neuroleptiques parce qu’ils font grossir et je refuse l’hospitalisation parce que celle que j’ai vécue ne m’a fait que du mal. Toute personne ou presque avec une maladie chronique refuse certains traitements, il n’y a qu’en psychiatrie qu’on peut mettre ça sur un défaut d’insight.

Bref, cette théorie du défaut d’insight ne sert qu’à nous déshumaniser, encore une fois.


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