Le champ de vision (The Field of Vision)
Auteur : Wright Morris
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Brice Matthieussent
Éditions : Christian Bourgois (2 mars 2023)
ISBN : 978-2267051612
338 pages
Quatrième de couverture
Walter McKee admire Gordon Boyd depuis toujours. Quand ce natif du Nebraska retrouve son ami loin de chez lui au Mexique, à l'occasion d'une corrida, la fascination est intacte. Près d'eux sur les gradins se trouvent aussi le père de Lois, et le Dr Lehmann, psychanalyste viennois exilé aux Etats-Unis, accompagné de son ancienne patiente, Paula Kahler. Les uns et les autres prêtent plus ou moins attention à ce qui se déroule dans l'arène, chacun perdu dans ses pensées, se remémorant les événements du passé.
Mon avis
Wright Morris (1910-1998) était écrivain et photographe et a inventé un genre à part entière, le « photo-texte » entre fiction, reportage, photo et autobiographie. Il a écrit ce livre en 1956. Il vient d’être traduit en France pour la première fois, soixante-cinq après sa parution aux Etats-Unis où il a obtenu, en 1957, le prestigieux National Book Awards.
L’action se passe au Mexique, lors d’une corrida à laquelle assistent les protagonistes. Les chapitres présentent différents points de vue par le regard des personnages (leur nom est indiqué donc on sait immédiatement de qui il s’agit) qui sont assis les uns à côté des autres et qui se connaissent depuis longtemps pour certains. Ils sont là mais ce qui déroule sous leurs yeux les intéresse moyennement, chacun laisse vagabonder ses pensées. C’est un narrateur extérieur qui nous les transmet. Et on découvre, comme dans un kaléidoscope, plusieurs aspects d’un même fait, d’une entrevue, d’un dialogue qui se sont passés entre les uns et les autres, des années en arrière.
Il y a Walter McKee, qui se retrouve face à Gordon Boyd, qu’il a toujours admiré. C’est un clin d’œil du hasard, il n’y avait aucune raison pour que ces deux-là se rencontrent ici à ce moment-là. Et pourtant… Comment vont-ils se comporter ? McKee est accompagné de sa femme Lois et de son beau-père, un vieil homme qui ne voit pas et qui entend mal.
Ce qui est remarquable dans ce roman, c’est la façon dont l’auteur arrive dans ce que je vais appeler chaque mini portrait, à nous transmettre des informations sur les faits du présent mais également sur le passé et ce qui a lié les spectateurs dont il nous parle. D’autre part, certains faits sont évoqués plusieurs fois sous des aspects diverses et le puzzle des relations et des personnalités se met en place. On sent l’influence de chaque individu sur les autres (au point de partager un prénom !). En parallèle, on suit ce qui se passe dans le présent avec les taureaux dans l’arène.
Ce sont des petites choses, une balle de base-ball, une casquette de David Crockett, une bouteille de Pepsi Cola qui prennent leur place et de l’importance sous la plume de Wright Morris. C’est surprenant et intéressant de voir comment il les intègre dans son récit.
L’écriture (merci au traducteur) est très précise, toute en nuances, détaillant les faits sans nous noyer sous les informations. À la manière d’un cliché, en quelques phrases, on y est et la place est donnée alors aux émotions, aux « commentaires ». L’approche de chaque caractère se fait par petites touches et au fil des pages, on réalise ce qui fait les forces et les faiblesses de chaque homme ou chaque femme, ce qui les a construit, ce qui a été difficile, lourd à porter, à accepter. C’est un ensemble qui se dessine, se met en place.
Ce recueil présente des hommes et des femmes ordinaires dans toute leur complexité d’humains. C’est une fine étude de l’existence et de ce qui peut en dévier le cours car, on le sait bien, malgré nos souhaits, on ne maîtrise pas tout….