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pour que l'admiration monte jusqu'à eux par degrés. (Claude Tillier)

Par Jmlire

" Mais dis-moi donc, peuple imbécile, quelle valeur trouves-tu donc aux deux lettres que ces gens-là mettent devant leur nom ?

Ajoutent-elles un pouce à leur taille ? Ont-ils plus de fer que toi dans le sang ? plus de moelle cérébrale dans la boîte osseuse de leur

tête ? pourraient-ils manier une épée plus lourde que la tienne ? Ce de merveilleux guérit-il des écrouelles ? préserve-t-il son titulaire de la colique quand il a trop dîné, ou de l'ivresse quand il a trop bu ? Ne vois-tu pas que ces comtes, ces barons, ces marquis sont de majuscules qui, malgré la place qu'elles occupent dans la ligne, n'ont toujours que la valeur de simples lettres ? Si un duc et pair et un Bûcheron étaient ensemble dans une savane de l'Amérique, ou au milieu du grand désert du Sahara, je voudrais bien savoir lequel des deux serait le plus noble ?

pour que l'admiration monte jusqu'à eux par degrés.    (Claude Tillier)
Rondache, Anvers, 1550-1560

" Leur trisaïeul maniait la rondache, et ton père faisait des bonnets de coton, qu'est-ce que cela prouve pour eux ou contre toi ? Viennent-ils au monde avec la rondache de leur trisaïeul au côté ? Ont-ils des cicatrices gravées sur leur peau ? Qu'est-ce que cette grandeur qui se transmet de père en fils, comme une bougie neuve qu'on allume à une bougie qui s'éteint ? Les champignons qui naissent sur les débris d'un chêne mort sont-ils des chênes ?

" Quand j'apprends que le roi a créé une famille noble, il me semble voir un cultivateur planter dans son champ un grand niais de pavot qui infectera vingt sillons de sa graine, et ne rapportera tous les ans que quatre grandes feuilles rouges. Cependant, tant qu'il y aura des rois, il y aura des nobles. Les rois font des comtes, des marquis, des ducs, pour que l'admiration monte jusqu'à eux par degrés. Les nobles, ce sont, relativement à eux, les bagatelles de la porte, la parade qui donne aux badauds un avant-goût des magnificences du spectacle. Un roi sans noblesse, ce serait un salon sans antichambre ; mais cette friandise de leur amour-propre leur coûtera cher. Il est impossible que vingt millions d'hommes consentent toujours à n'être rien dans l'État, pour que quelques millier de courtisans soient quelque chose ; quiconque a semé des privilèges doit recueillir des révolutions. Le temps n'est pas loin peut-être où tous ces brillants écussons seront traînés dans le ruisseau, et où ceux qui s'en décorent maintenant auront besoin de la protection de leur valet..."

Claude Tillier : "Mon oncle Benjamin", W. Coquebert éditeur, Paris 1843 pour la première édition, Libella, Paris, 2017, pour celle dont est tiré cet extrait. Du même auteur, dans Le Lecturamak :

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