Dans le cadre du Mois de L’Europe de l’Est organisé par Eva, Patrice et Fabienne je vous présente aujourd’hui le premier recueil de nouvelles de Nicolas Gogol, écrit alors qu’il n’avait que vingt-deux ans, et qui lui a valu d’emblée un grand succès.
J’ajoute que c’est grâce à Ana Cristina, animatrice très amicale de mon cercle de lecture, que j’ai eu l’idée de lire ces nouvelles, et je l’en remercie !
Note Pratique sur le livre
Editeur : folio classique
Genre : nouvelles (ou contes)
Première date de publication : 1831
Traduction du russe et préface par Michel Aucouturier
Nombre de Nouvelles : huit
Nombre de pages : 268
Note biographique sur l’écrivain
Nicolas Gogol nait en 1809, aîné de douze enfants, dans une famille de petits fonctionnaires anoblis. Sa santé est fragile. Il fait ses premiers pas littéraires en 1829, s’essaie à la poésie mais sans succès. À partir de 1830 il occupe des emplois dans des ministères et commence à écrire des nouvelles ukrainiennes. En 1831 il fait plusieurs rencontres importantes dans le monde littéraire et en particulier Pouchkine qui l’encourage. C’est à ce moment qu’il publie Les Soirées du hameau (1831 et 1832). Il donne des cours d’histoire et s’intéresse de plus en plus au mysticisme religieux et aux livres saints. Il voyage dans de nombreux pays d’Europe. Il publie en 1835 le recueil Arabesques qui contient, entre autres, Le Journal d’un fou, Le Portrait et La Perspective Nevski. En 1836 il fait scandale avec la pièce de théâtre Le Revizor et il se sent incompris, même par ses défenseurs. Il passe les dernières années de sa vie principalement à Rome et il tente de se consacrer à son dernier chef d’œuvre, Les Âmes mortes, dont il finira par jeter au feu une bonne partie, plongé dans un délire mystique. Il meurt à l’âge de quarante-deux ans, en 1852, des suites de mauvais traitements médicaux.
Quatrième de Couverture :
C’est en 1831 que paraissent à Saint-Pétersbourg Les Soirées du hameau, publiées par Panko le Rouge, éleveur d’abeilles. Derrière ce sobriquet se dissimule un écrivain de vingt-deux ans, qui utilise ses souvenirs d’enfance et le folklore de l’Ukraine.
Gogol devient aussitôt célèbre avec ces courts récits qui plaisent à la fois au public populaire et à Pouchkine : « Voici de la vraie gaieté, sincère, sans contrainte. »
Mon Avis
N’ayant encore jamais lu Nicolas Gogol, et plutôt habituée au style de Dostoïevski parmi les classiques russes (ou ukrainiens), j’ai été décontenancée par la première nouvelle et il m’a fallu un petit moment d’adaptation à cette écriture très artistement ciselée, abondamment imagée, d’un romantisme pittoresque qui rappelle parfois les poèmes en prose d’Aloysius Bertrand et surtout à ces histoires qui mêlent les notations humoristiques, les événements fantastiques pleins de diableries, de sorcelleries, de métamorphoses ou encore de fantômes. Mais, passé la surprise de la première nouvelle, je suis totalement rentrée dans cet univers insolite, et j’ai vraiment apprécié cette lecture qui a l’avantage d’être très dépaysante et qui me changeait complètement les idées à chaque fois que je m’y plongeais.
Plus que des nouvelles, il me semble que ces histoires sont plutôt des contes pour adultes, avec tout un folklore et une imagerie typiquement ukrainiens (d’ après ce que j’ai pu lire dans les notes et la préface), une bonne place accordée aux Cosaques, à leurs danses, à leurs chansons, à leurs costumes et à leurs traditions.
J’ai apprécié aussi les portraits psychologiques des différents personnages de ces histoires – alors que, souvent, dans les contes il y a peu de finesses psychologiques et les êtres sont stéréotypés – mais, ici, il y a au contraire une grande recherche de véracité dans les caractères et, surtout, certains défauts ou tempéraments qui peuvent prêter à sourire.
Les deux nouvelles que j’ai le plus aimées sont la troisième et la cinquième, c’est-à-dire « La Nuit de mai ou la noyée » et « La Nuit de Noël », l’une pour sa poésie et son côté merveilleux, et l’autre pour son inventivité débordante et réjouissante, avec même une incursion chez la tzarine, la grande Catherine II, qui donne ses chaussures au héros.
La nouvelle que j’ai un petit peu moins aimée est la sixième, « Une terrible vengeance » qui est dans un registre purement dramatique, sans aucune ironie, et où le côté horrifique est plus marqué et pris au premier degré, m’a-t-il semblé.
Une excellente lecture, qui m’a donné envie de connaître d’autres œuvres de Gogol.
Un Extrait page 83
– Il faut croire que les gens ont raison de dire que les jeunes filles sont possédées d’un diable qui attise leur curiosité. Eh bien, écoute. Il y a longtemps de cela, mon petit cœur, cette maison était habitée par un centenier. Ce centenier avait une fille, une belle demoiselle blanche comme la neige, blanche comme ton joli visage. La femme du centenier était morte depuis longtemps ; et il avait décidé de se remarier. « Me câlineras-tu comme par le passé, mon père, lorsque tu auras pris une autre femme ? — Oui, ma fille, oui ; et je te serrerai encore plus fort contre mon cœur. Oui ma fille, je t’offrirai des boucles d’oreilles et des perles plus brillantes encore que par le passé. » Le centenier amena la jeune épouse dans sa nouvelle maison. Elle était belle, la jeune épouse. Elle avait les joues roses et le teint blanc, la jeune épouse ; mais elle lança à sa belle-fille un regard si chargé de menaces que celle-ci poussa un cri en la voyant ; et, de toute la journée, pas un mot ne sortit des lèvres de la rude marâtre. Vint la nuit ; le centenier se retira dans sa chambre avec sa jeune épouse ; la blanche demoiselle s’enferma elle aussi dans sa chambrette. La tristesse l’envahit et elle se mit à pleurer. Mais que voit-elle soudain ? Un effrayant chat noir s’avance vers elle à pas feutrés ; son poil est de flamme et ses griffes de fer résonnent sur le plancher. Terrifiée, elle saute sur le banc, et le chat la suit. D’un bond, elle est sur la soupente ; le chat la suit toujours, et, se jetant brusquement à son cou, il essaie de l’étouffer. (…)
Un Extrait page 241
La tante Vassilissa Kachporovna avait alors près de cinquante ans. Elle ne s’était jamais mariée et disait généralement que la vie de jeune fille était ce qu’elle avait de plus cher au monde. Du reste, autant que je m’en souvienne, personne n’avait jamais demandé sa main. La raison en était que tous les hommes se sentaient pris devant elle d’une sorte de timidité : ils avaient beau faire, ils ne trouvaient pas le courage de lui faire leur déclaration. « C’est une personne qui a vraiment beaucoup de caractère, Vassilissa Kachporovna » disaient les partis et ils avaient parfaitement raison, parce que Vassilissa Kachporovna savait rabattre son caquet à n’importe qui. Du meunier, qui n’était jadis qu’un ivrogne et un bon à rien, elle avait fait, à force de lui tirer chaque jour le toupet de sa main virile, un homme en or. Sa taille était quasiment gigantesque, son embonpoint et sa force parfaitement en rapport. Il semblait que la nature avait commis une erreur impardonnable en lui assignant de porter en semaine une capote brun foncé à petits volants, et un châle de cachemire rouge le dimanche de Pâques et le jour de sa fête, à elle qui était faite pour porter des moustaches de dragon et des bottes de cavalerie. (…)
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