Osvalde Lewat a plusieurs cordes à son arc. Et généralement quand elle vise une cible, elle a l'heureuse tendance à la toucher en plein mille. J’écris cette chronique après avoir lu ce roman en fin d’année 2022 et reçu l’écrivaine camerounaise dans mon émission littéraire Les Lectures de Gangoueus.
Katmé est le personnage principal de ce roman. Quand débute l’ouvrage, deux soeurs observent l’enterrement de leur mère dans des conditions pour le moins apocalyptique. Katmé ne pleure pas. Elle est la grande soeur. Cette scène est essentielle. On y reviendra. Plusieurs années après cette scène, une exhumation du corps de cette femme est demandé par arrêté préfectoral parce qu’une route nationale doit passer par son emplacement. Katmé est devenue une personnalité importante dans ce pays imaginaire d’Afrique. Par son mariage avec un homme politique ambitieux, elle a accès à des cercles de pouvoir importants. Elle fréquente un milieu guindé, sorte de bourgeoisie de parvenus comme on en imagine en Afrique centrale. Microcosme élitiste, les femmes de ces pontes se réunissent dans des espaces clos et affermissent la position de leurs conjoints respectifs.
Microcosme politique et patriarcat
Katmé évolue dans ce contexte. Elle a donc cet homme, ils ont ensemble deux enfants en bas âge. Elle n’est pas folle dingue amoureuse de son jules, ce dernier étant trop préoccupé d’accomplir son destin politique et parfaitement conscient de son pouvoir sur elle et sur la famille. L’exhumation de sa belle-mère va servir ses desseins politiques. Il tient peu compte des conséquences de cette action sur Katmé. Cette phase du roman est très solidement construite sur des personnages qui tiennent la route, par leur densité, par la complexité des choix qu'impose l'environnement dans lequel ils baignent. Elle permet d’observer les arcanes du pouvoir dans un pays qui pourrait ressembler au Cameroun ou à la RDC. Osvalde Lewat est une globe-trotter. Elle rejette tout rapprochement entre le Zambuena (pays fictif en arrière plan du roman) et le Cameroun. Peu importe, si cela permet à sa parole d'être plus libre. Il y a de toute façon quelque chose d’universel dans le traitement de la volonté de pouvoir de certains et de toutes les mesquineries associées à toute ascension sociale. L’intérêt de cette description peut s'axer sur le jeu des femmes, l'analyse de leur espace d’expression extrêmement restreint. Le cercle de femmes auquel appartient Katmé en est la caricature parfaite. La plume de Lewat est saisissante dans le portrait élégant qu’elle propose. Oui, l'élégance. Cependant, là où l’écrivaine camerounaise est particulièrement subtile, c’est dans l’introduction de figures dissonantes comme celle d’une galeriste venue d’Europe qui paiera très cher son non alignement. Katmé est sur une ligne de crête. Ambigüe. Confuse.Homosexualité et question de genre
Lors de mon entretien avec Osvalde Lewat, je soulignais le fait qu’il s’agissait d’un roman « woke ». Il reprend la structure des revendications introduite par l'intersectionnalité. La distance de l’auteure avec cette qualification venue d’Amérique du nord m’a paru très significative du rejet en Europe de ces combats pourtant légitimes. Mais le wokisme est bien au coeur de ce projet. La spécificité du traitement dans Les Aquatiques porte sur le fait que le dominant ici au Zambuena est l'homme noir : Il domine de tout son poids sur les femmes et il écrase les minorités LGBT. En fonction des pays, la variation ethnique participerait dans l’analyse des différentes oppressions. Le meilleur ami de Katmé est un artiste sculpteur qu’elle connaît depuis le lycée. Samy est homosexuel. La relation qui lie ces deux-là est profonde. Avec Samuel Pankeu, Katmé s’épanche. La lecture de ce roman vous donne d’observer les niveaux de compromis que chaque individu s’autorise et donc de peser le niveau personnel que l’on peut avoir de la liberté. Samuel est tout ce que Katmé n’est pas. Il mène des combats qu’elle ne peut pas comprendre. Il y a Samuel et les autres. Il s’avère que, comme au Cameroun, au Zambuena, la pratique de l’homosexualité est pénalement réprimée. Dans le feu des intrigues d’une campagne électorale, Samuel, l’ami de la femme du préfet va être emprisonné suite à une dénonciation concernant ses pratiques sexuelles.Sororités
Le roman a plusieurs tranches. Le lecteur découvre les différents thèmes au fur et à mesure. Je dois dire que c’est un des aspects passionnants de ce roman. Dans cette phase, il y a, au-delà du combat pour la libération de Samuel, il y a le rapport intime que Katmé possède avec sa mère disparue, sa soeur qui s’est recluse dans un couvent, sa tante Maman Récia bigote qui a élevé ses deux nièces, son père… Derrière sa façade, il y a tous les brisements de l’enfance. J’avoue que le traitement de la psychologie de ces personnages est remarquable. Les interactions sont méticuleusement mises en scène. Entre les deux soeurs, la bonne soeur religieuse et Katmé, il y a un moment d’une rare intensité.Conclusion
J’ai beaucoup parlé et en même temps, vous ne savez pas grand chose. Je terminerai par l’écriture. C’est une masterclass. Bon, ça ne veut rien dire. Je veux surtout souligner que c'est un des romans les mieux écrits que j’ai lu ces derniers années. Ecriture classique, soutenue, sans fioriture. Le même niveau d’exigence de la première à la dernière page. Le final nous laisse pantois. Ce roman a obtenu trois grands prix majeurs (Prix Ahmadou Kourouma 2022, première édition du Grand Prix Panafricain de littérature, Prix du Rayonnement de la langue et de la littérature françaises 2022). Que dire ? Totalement justifié ! Je vous propose de découvrir l'émission littéraire consacrée à ce roman en cliquant ici.Gangoueus