A l’étage supérieur, l’installation Extra tropical, est présentée pour la première fois dans son intégralité. Elle rassemble quatre vidéos de 6 minutes réalisées entre 2020 et 2022, dans les ports de Lisbonne, Brest, Anvers (grand importateur de caoutchouc) et Gênes, proposant une relecture critique de l’histoire de l’Europe, à travers le passé colonial, industriel et commercial de ces ports, et de la mondialisation, en associant une plante à chacun. Mises en évidence dans les séquences introductives de chaque projection, les feuilles de ces plantes deviennent le centre même de l’œuvre, et donnent leur titre aux vidéos : arecaceae, yucca, hevea et opuntia.
L’opuntia (dit cactus raquette, dont le fruit est la figue de Barbarie)est ce cactus très invasif qui se propage par enfouissement d’un segment le long des côtes. Il est mis ici en parallèle avec les dégâts provoqués par l'industrie du tourisme de masse et des croisières du port de Gênes alors que pour moi, cette ville est davantage associée à la toile de jean. J’aurais plutôt retenu un port mexicain comme Los Cabos (où j’ai pris la photo ci-dessous) puisque j’y vois souvent des paquebots mouiller au large et que cette plante est un des légumes les plus populaires au Mexique, connu sous le nom de nopal.L’hévéa, cultivé dans les régions tropicales comme source de caoutchouc naturel, contemple la pollution de l'industrie pétro-chimique du port d’Anvers. Les arecaceae, plus communément appelés palmiers, qui décorent le port de Brest, nous rappellent les ravages causés par l'industrie de l'huile de palme. On voit beaucoup de palmiers en région parisienne en raison de l’intérêt pour l’orientalisme (comme je le soulignais il y a quelques jours quand j’ai visité lemusée Jean-Jacques Henner
).Le yucca, originaire d’Amérique centrale – introduit pour certaines espèces (yucca gloriosa) dès le XVIe siècle – pourrait être une trace de la traite des esclaves qui fit la fortune du port de Lisbonne. C’est une plante familière quand je suis à Oléron.Il y a dans cette île un souci à propos de plantes qualifiées d’invasives comme l’herbe de la pampa qu’il est désormais interdit de commercialiser en jardinerie, de même que les griffes de sorcière (ou carpobrotus, ci-dessus à droite) qui se reproduisent très vite, mais dont pourtant l’intérêt est de freiner l’érosion des sols.Les plantes peuvent être victimes de leur propres capacités. Le palmier ne serait pas tant coupé s’il ne produisait pas d’huile de palme. Le budléia est un arbuste d’origine asiatique importé pour une fonction ornementale et qui s’est si bien adaptée qu’elle colonise aujourd’hui les friches urbaines, le temps que d’autres espèces puissent s’installer.Le travail de l’image qui trouve ses sources dans la peinture, la photographie ou le cinéma, est central pour le duo d’artistes. Leurs compositions rigoureuses, le traitement météorologique de la couleur et des lumières, le jeu avec les échelles, les degrés de netteté, ainsi que la sobriété des techniques d’impression incitent à reconsidérer ce qui (nous)est indispensable.La volonté de Ouazzani Carrier est de nous plonger dans un univers sensible qui ne cherche en rien à dissimuler ou esquiver la violence du monde, mais nous invite, au contraire, à garder les yeux ouverts, déployant à notre attention une véritable poésie de la lucidité. Et c’est bien ainsi que la visite de l’exposition a opéré sur moi.Cette invitation du musée d’Art et d’Histoire Louis-Senlecq au duo d’artistes Ouazzani Carrier a le mérite de promouvoir la création contemporaine émergente au sein d’une institution muséale du Val-d’Oise, ainsi qu’à ouvrir la notion de paysage – centrale dans le projet scientifique et culturel du musée – à des questionnements esthétiques, politiques et artistiques actuels, en démontrant combien les plantes reflètent la trace de l’histoire humaine.Le personnel devra se montrer à l’écoute des plantes car ce sont des organismes vivants. A la fin de l’exposition elles ne seront pas détruites mais données aux visiteurs ou rendues aux prêteurs.Il faut bien entendu poursuivre la visite au rez-de-chaussée où trois espaces sont dévolus aux collections permanentes : une salle dédiée au peintre paysagiste Jules Dupré(1811-1889) , une autre consacrée à la présence des princes de Conti à L’Isle-Adam au XVIIIe siècle, et une autre aux manufactures de terres cuites adamoises à la fin du XIXe siècle et à la figure de son artisan le plus prolifique, Joseph Le Guluche (1849-1915) dont
ce buste de femme berbère en terre cuite polychrome réalisé en 1896 s’inscrit dans le goût pour l’orientalisme …
Emprunt Lointain, une exposition de Marie Ouazzani & Nicolas Carrier
Du 2 avril au 17 septembre 2023Musée d’Art et d’Histoire Louis-Senlecq
31, Grande-Rue – 95290 L’Isle-Adam
Ouvert du mercredi au dimanche de 14 h à 18 h, fermé le lundi et le mardi, et le 14 juillet.
Entrée gratuite le premier dimanche de chaque mois et le Samedi 13 mai 2023, de 18h à 22h pour la Nuit européenne des musées
Tarifs Plein : 4,50 € ; réduit: 3,50 € Gratuit le 1er dimanche de chaque mois, pour les Adamois, les moins de 18 ans, les étudiants en Arts plastiques et en Histoire de l’art, les Amis du Louvre, les titulaires de la carte ICOM, de la carte Culture et de la carte “Découvertes en liberté”.
Nombreux ateliers pour adultes et enfants et visites guidées à connaître et réserver en contactant le service des publics au 01 74 56 11 23, ou par mail :[email protected]