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L’atelier d’écriture n°433 de Bricabook

Par Antigone

L’atelier d’écriture n°433 de Bricabook

© Fred Hedin

Vouloir te dépasser en tout. Grandir.
Me dépasser, et finir par partir.
Puis, te rendre visite, quelques années plus tard, comme rarement je le fais, dans cet appartement du cinquième étage que je ne peux plus voir en peinture. Ton immeuble semble avoir été colorié par un enfant de six ans. Qui confie ainsi à un incompétent les clés de l’esthétisme d’un lieu d’habitation ?
Bref, aller te voir, pour t’aider à remplir des papiers. Constater combien tu as vieilli, mais combien tu sais encore sortir des saillies qui me blessent, remettent en cause celui que je suis devenu. Mes capacités.
Avoir l’envie, l’espace d’un instant, de te planter là, avec tes démarches, ta suffisance, et ton âge.
Malgré ses grandes fenêtres, ton appartement est étrangement sombre. Et puis bruyant, mal insonorisé. Tu y fais à peine attention. Peut-être n’entends-tu plus très bien ? Quand une ambulance passe dans la rue en bas de chez toi, toutes sirènes hurlantes, c’est moi qui sursaute.
Je fouille parmi un tas de feuillets. Tu ne sais plus distinguer ce qui est important de ce qui ne l’est pas. Les prospectus se mélangent aux justificatifs. Parfois, sur un bout de papier, tu as noté quelque chose de ton écriture serrée, un prénom, un numéro de téléphone. Je ne dérange rien. Je ne retire que ce qui m’est utile aujourd’hui. Pour la troisième année consécutive, je retrouve le même carton, avec ses mots de passe périmés. 
Tu es dépassé. Je t’ai dépassé. Je n’en retire aucune fierté. 
Tu n’as même pas l’air heureux de ton côté que je sache faire. Pendant que je m’évertue à remplir des cases de chiffres, tu tournes juste à côté de moi les pages d’une revue. Tu veux me parler d’autre chose, que tu as lu hier. J’ai du mal à me concentrer. 
L’instant s’étire plus qu’il ne devrait. Il prend des allures d’épopée. J’essaye de ne pas me tromper. Je vais sans doute te quitter sans être certain d’avoir tout réglé, avec de l’agacement.
Tu vas vouloir que je reparte avec quelque chose, pas un merci et ton soulagement de t’être reposé sur moi, non. Ce serait trop espérer. Tu penses que c’est mon devoir de fils.
Tu me confies une pile de revues. Pour que mes filles découpent dedans, dis-tu.
Merci papa.

Un texte rédigé dans le cadre de l’atelier d’écriture d’Alexandra K – Une photo, quelques mots
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