Quatrième de couverture :
Une brusque mise en congé bouleverse les habitudes de Mademoiselle Marie et la force à regarder les choses autrement qu’elle ne le faisait. Des souvenirs se réveillent, cependant qu’elle parcourt vainement la ville à la recherche d’un emploi… Non loin d’elle, Alain, le petit garçon de ses voisins vit pour son compte une expérience parallèle, celle du temps qui déchire ou enlise, celle de la solitude…
Ce roman a été publié en 1966, il y a longtemps qu’il traînait dans ma PAL. J’en ai apprécié la lecture, l’histoire d’une vieille fille qui était employée (ou utilisée ?) comme institutrice et qui se fait renvoyer parce qu’elle n’a plus la poigne face à des élèves plus turbulentes. Melle Marie, comme elle est nommée tout au long du roman, commence alors une longue errance dans la ville à la recherche d’un nouvel emploi qu’elle ne trouve jamais ou si peu. Si l’horizon de ses promenades dans la ville s’élargit à des quartiers inconnus, son intérieur se resserre petit à petit : de la grande maison blanche qu’elle habitait dans sa jeunesse, elle est passée à un appartement plus étroit, ses moyens financiers diminuent sans cesse et l’amènent à un état proche de la misère. On comprend que la vieille demoiselle a eu une enfance peu heureuse, marquée par la mort de sa mère, par la sévérité de la grand-mère qui l’a élevée et par la quasi-absence du père.
Cependant, dans ses pérégrinations, Melle Marie retrouve des bribes d’enfance, pas seulement les souvenirs d’interdits et de punitions qui feront d’elle une femme timorée, elle passe du temps à contempler des étangs et à guetter une vie insoupçonnée sous la surface. Dans son immeuble, habite un petit garçon, Alain, sans doute le double enfantin de Marie, un gamin plein de vie, de désir, de cruauté aussi, qui subit lui aussi des punitions pour sa turbulence mais qui a quand même une certaine complicité avec la vieille demoiselle, notamment lors d’une matinée d’école buissonnière. Marie garde aussi son indépendance dans son appartement, dont elle maîtrise les limites, qu’elle entretient fièrement même si tout vieillit et s’use et si elle doit se séparer de certains objets pour survivre.
Je dois avouer que la lecture de l’analyse de l’oeuvre par Colette Nys-Masure (comme il est de coutume dans tous les « classiques » publiés par Espace-Nord) m’a éclairée sur certains aspects que je ne soupçonnais pas. Voici ce qu’elle en dit dès l’introduction : « L’absence d’intrigue au sens traditionnel du mot, la topographie étouffante, le télescopage temporel, la présence obsédante de certains objets et surtout l’anonymat, la silhouette de plus en plus fantomatique de l’héroïne, semblaient autant d’indices de l’appartenance au Nouveau Roman, alors en pleine effervescence. » (Je me sens un peu moins allergique au Nouveau Roman…) Colette Nys-Masure précise également que la ville parcourue par Marie est sans doute Bruxelles, avec le quartier du Sablon et les étangs d’Ixelles.
L’écriture est sans pathos, l’univers de Melle Marie est très sensoriel, surtout basé sur le toucher (elle touche fréquemment le mur de son appartement, sans doute pour en éprouver les limites). Plusieurs échos habitent le roman : des phrases quasiment semblables se retrouvent au début et à la fin, il y a la correspondance entre Marie enfant et Alain, les oppositions entre la grand-mère limitante et la mère d’Alain, plus bienveillante, entre le gros homme sans-gêne qui lui offre un emploi éphémère et la silhouette d’u homme, peut-être imaginaire, mais aimé autrefois. Bref, un roman assez court mais très riche !
Eugénie DE KEYSER, La surface de l’eau, Collection Espace Nord, Editions Labor, 1996 (Première édition : Gallimard, 1966)
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