Écrire, c'est porter sur le papier nos pensées, leur conférer cette précision, cette cohérence auxquelles l'écriture, seule, permet de parvenir. Chacun, désormais, peut s'adonner, pour son compter propre, à la magie inventée, voilà cinq mille ans, du côté de Sumer et d'Akkad, voir, de ses yeux, les choses immatérielles dont il est obscurément le siège et la source. Mais pareil spectacle a un prix. C'est la sécession, l'absence au monde; la mélancolie. L'existence ne souffre peut-être pas la clarté que la conscience peut y jeter. Elle est colorée d'affects, drue, flottante, entraînante et, comme telle, tolérable. Y faire plus précisément réflexion, c'est se mettre hors jeu, entrer dans le vide et l'absence, le "sombre", dit Hegel, de la pensée. Et rien n'est moins assuré, avec ça, que nous comprenions vraiment de quoi il retournait...
Pierre Bergounioux : extraits de "Exister par deux fois" Fayard, 2014 Du même auteur, dans Le Lecturamak :