J'ai tout dans ma tête, de Rachel Arditi (éd. Flammarion)

Rachel Arditi est comédienne. C’est sur la scène du Théâtre Paris-Villette que je l’ai vue il y a quelques mois déjà. Elle était la narratrice de Songe à la douceur, comédie musicale d’après le livre de Clémentine Beauvais. Le roman que je viens de lire, écrit par Rachel Arditi, me renvoie à ce spectacle, bien sûr, mais il n’en est pas la clé, en tout cas pas la seule. Comme le livre de Clémentine Beauvais n’est pas la clé du texte de Pouchkine, Eugène Onéguine, mais pourrait en être une introduction. Comme l’opéra de Tchaikovsky… On prend le train comme il vient, comme un jour il s’arrête dans la gare où on est, peut-être pas par hasard, arrivé un peu plus tôt.

Et voici Tatiana, personnage saisi dans son adolescence, et retrouvé dix ans plus tard. Quand Rachel (mais est-ce vraiment elle ?) la découvre, elle veut être cette femme. Troublant livre qui nous fait passer de la réalité à la fiction, et réciproquement, comme Pouchkine mort au cours d’un duel qu’il avait peut-être imaginé en écrivant. Or, pendant qu’elle travaille à l’adaptation du roman qui raconte l’histoire de Tatiana et Eugène, Rachel rend visite à son père, à la Maison des Artistes, une maison de retraite, son père, peintre, dont la mémoire se désorganise jusqu’à devenir une page blanche. Son père qui a peint son portrait quand elle était enfant.

C’est toute la vie qui est là, c’est cette articulation particulière entre les livres qui s’appellent et se répondent, qui appellent et répondent à la vie même, et c’est la place qu’on y tient ou plutôt qui nous accueille car le désir n’est jamais à sens unique. Et c'est plusieurs vies : la fille qui rend visite à son père qui l'appelle plusieurs fois par jour, la femme qui « n'a pas de nom », qui n'est pas « belle » et n'a pas assez de followers, Tatiana, personnage de fiction, désirée, désirante. Plusieurs vies et « tout dans la tête » en même temps.

Ce livre est un document qui montre à la fois la douceur et la violence des relations humaines, une façon d’avancer avec ça, de croire aux rêves, à l’imagination créatrice, à l’élan que peut donner un livre, un tableau, à l’écriture.