J'ai vu Sisyphe heureux, de Katerina Apostolopoulou (éd. Bruno Doucey)

Trois histoires simples, de gens simples, ni riches, ni pauvres, si la pauvreté ne se mesure pas à ce qu’on possède. 

Est-elle pauvre la jeune veuve, mère de deux enfants, et dont l’homme s’est noyé dans la mer ? Est-elle pauvre la même qui écrit, en guise d’accueil : « Vous êtes les bienvenus / Venez les mains vides / Cette maison n’a besoin de rien » ? Est-elle trop orgueilleuse ? Est-elle trop fière ? Elle a seulement voulu être elle-même, être avec ses enfants, pêcher avec eux, vendre leur pêche sur le marché, peu à peu faire face aux difficultés, « s’allier avec la mer / Pour sauver notre dignité sur terre / Malgré les intentions du ciel ». Et ainsi tresser les jours, de jour en jour.

Sont-ils pauvres, Maria et Manolis, vivant dans la paix d’un amour de chaque jour, ayant élevé leurs deux filles, et mourant l’une après l’autre parce qu’il n’y avait sans doute plus que cela à faire ? Sont-ils pauvres ou les derniers d’un monde, celle et celui qui jour après jour ont fleuri leur maison, trouvant « le bonheur où ils ont pu », recommençant simplement chaque journée sans penser à envier le prochain, juste en se tenant la main, recommencer comme Sisyphe au pied de la colline, sans fuir le jour qui vient, sauf quand la mort a voulu les séparer.

Est-il pauvre, Fotis, vivant dans une grotte après la mort de sa femme, ermite étrange sans doute aux yeux des jeunes filles, et que la ville même regarde avec des yeux curieux, sans doute parfois moqueurs et condescendants. Mais cet homme que chacun, chacune respecte comme quelqu’un que l’existence a accablé et qui pourtant continue d’exister sans agressivité et, au contraire, avec une forme d’attention aux autres, mourra un jour, et ce jour-là marquera sans doute la fin d’un temps, car c’est de cela que parle ce livre : d’une époque révolue. C’est sans doute le sens du passé auquel est conjugué le verbe du titre.