Ce roman met en scène un groupe d’enfants âgés de 6 à 12 ans, confronté à lui seul dans un milieu hostile, une île déserte. Un avion s’est écrasé sur l’île, celui dans lequel les enfants voyageaient. Le récit de ce drame est cependant épars, en pointillés et le lecteur se demande d’où viennent ces enfants. Pourquoi ont-ils échoué là ? Ce sont des enfants issus d’une classe sociale élevée, tous scolarisés dans l’Angleterre des années 1950. Survivants de l’accident, ils doivent alors s’adapter à un environnement tout à fait inconnu d’eux. Les enfants vont établir des règles de vie en groupe qui vont assez vite se déliter, laissant place à une organisation dominée par l’autorité et le pouvoir d’un seul. Ce qui se trame dans ce récit est une montée de la violence, qui va crescendo de l’emprise à un sadisme assumé. Les enfants sacrifieront un animal, « une truie allaitant ses petits », dont la tête brandie sur un piquet deviendra « Sa Majesté des mouches ». Certains enfants seront également tués, sacrifiés sans pour autant être érigés en totems. Au cours des événements se dessineront progressivement deux groupes d’enfants : celui des « chasseurs », portés vers l’action, qui apparaissent aussi comme des chasseurs-destructeurs de mémoire et de rêves rêvés par l’autre groupe ; le second est constitué d’un nombre plus restreint d’enfants qui, à la différence du premier, se remémorent leur passé, à partir duquel ils puisent l’espoir de partir de l’île et d’en être sauvés. Ce groupe-là est voué à disparaître.
Ralph et Porcinet trouvent sur l’île une conque, un espèce de coquillage qui produit un son lorsqu’on souffle à l’intérieur. Les enfants se réunissent au son de la conque et élisent un chef qui sera Ralph et celui qui détient le coquillage devient en quelque sorte le détenteur de la bonne parole.
Un nouveau personnage important apparaît, Jack, qui rapidement se lie d’amitié avec Ralph. Il prend la tête d’un groupe de chasseurs mais bientôt une rivalité va naître entre lui et Ralph.
La rivalité s’accentue car Jack aime avant tout l’aventure et la chasse tandis que Ralph privilégie lui une organisation stricte qui laisse peu place à l’amusement. Peu à peu les enfants rejoignent Jack et ce dernier prend alors tous les pouvoirs. Une sorte de société tribale se met en place.
Une haine se cristallise envers le groupe de Ralph car ce sont les lunettes de Porcinet qui permettent d’allumer le feu. La tension s’apaise quelques peu avec la cuisson d’un cochon attrapé dans la forêt. A la suite du festin un culte s’organise autour de la tête de cochon qui symbolise une divinité brutale et sanglante. Cette tête de cochon d’ailleurs en décomposition attire les mouches donnant ainsi tout son sens au titre du roman.
Pour justifier ce culte Jack invente l’histoire d’un monstre qui habiterait le haut de la montagne. Simon, un autre rescapé décide de monter au sommet pour s’assurer de la véracité des propos de Jack mais ne trouve rien, hormis le corps d’un parachutiste.
Lorsqu’il retourne au camp une fête est célébrée et dans le délire général, Simon est roué de coup. Les enfants l’ont en effet associé au monstre et il décède de ses blessures.
Le camp de Jack, en pleine confiance décide de voler les lunettes de Porcinet qu’ils tuent avant de tenter de capturer le reste du groupe de Ralph. Celui-ci qui se cache dans la forêt pour éviter d’être tué est finalement pourchassé par le groupe de Jack. Alors qu’ils sont sur le point de le capturer un groupe d’adulte qui débarque à peine tombe sur eux, surpris de la situation à laquelle ils assistent.
Sa Majesté des Mouches met en scène un monde où la société de l’adulte s’est littéralement effondrée, quelques dialogues échangés entre les enfants nous font comprendre qu’ils sont rescapés d’une bataille, et qu’une bombe atomique aurait été lancée. Sans être évoquée à vive voix, l’ombre de la guerre froide plane sur l’ensemble du récit. L’enfant ne peut faire société qu’en réaction à celle de l’adulte, et pour ce qui est du récit de Sa Majesté des Mouches on notera que l’enfant ne souffre pas du fait d’être beaucoup trop enfants, mais bien du fait d’être beaucoup trop adulte.
Dans Sa Majesté des mouches, il est frappant de voir le peu de liens que les enfants maintiennent avec leur passé, le peu de souvenirs remémorés. Certains semblent s’être mis activement à distance de leur passé, de leurs liens familiaux et de l’espoir qu’ils pourraient puiser dans l’activité de remémoration. Le point de rupture avec le passé, l’accident d’avion qui les isole de leur vie antérieure, en Angleterre, n’est jamais évoqué par les enfants. La rupture avec ce qui a existé s’exprimerait par une mise à mort progressive des codes de la civilisation et par la réinvention d’autres codes qui peuvent être ceux d’une civilisation nouvelle, autonome, libérée de ses liens avec l’histoire.
Les enfants de Sa Majesté des mouches s’attachent à l’action qu’ils peuvent porter sur leur environnement externe, dans une logique de survie, se défendant ainsi de leur situation de détresse. L’action a pour but de les protéger du ressenti de leur état d’impuissance et d’enfants abandonnés, leur donnant l’illusion d’être maîtres de leur environnement actuel.
Ralph, l’un des enfants leaders, fait un rêve à partir de remémorations de sa vie passée : il est chez lui, donnant du sucre aux poneys. Il est alors protégé par son rêve, n’est plus réveillé par les autres enfants qui autour de lui font des cauchemars. Le travail de mémoire nourrit le travail du rêve, préservant ainsi l’espace intime de l’enfant. Par la suite, Ralph fait des efforts afin de chasser ses rêveries, mais elles reviennent, malgré lui. Trop douloureuses par le sentiment de perte et d’impuissance qu’elles ravivent, elles le distraient aussi dangereusement : pendant la chasse « aussitôt les rêveries s’emparèrent de lui ». Il s’agirait de faire table rase des souvenirs et des rêveries intérieures afin de survivre au mieux.
Quant à Simon, il garde espoir, imagine sans cesse un retour possible chez lui, dans sa maison en Angleterre. Cet espoir, cette rêverie tournée à la fois vers le passé et le futur, apparaissent dérangeants. Les camarades qualifient Simon de « cinglé ». Il devient de plus en plus l’inconnu, le fou à exclure, celui qui menacerait la cohésion du groupe, donc sa survie
Au milieu du roman apparaît le personnage du petit Percival. Celui-ci lance des mots, sans liens entre eux ; ces mots énumèrent des objets, des lieux familiers. Il y repense, il pleure, il est corps et âme mobilisé par ses souvenirs, mais alors il perd la raison et devient un pair à mettre à distance pour ses camarades, car ses lamentations se répandent dans le groupe et tous les petits se mettent à pleurer.
Dans sa « folie », le petit Percival prétend que « la bête sort de l’océan ». Quelle est cette bête fantasmée ? Un jour, les enfants ont allumé un feu et bien qu’un bateau se soit approché de l’île, ils n’ont pas été repérés. Le feu n’était pas au bon endroit, et les enfants, trop occupés à chercher une bête pour s’en nourrir, le bateau est parti. Après cet espoir éteint, le passé, le familier semblent jaillir en Percival sous une forme étrange et persécutoire : « La bête sort de l’océan » menaçante. Simon proposera alors, hésitant : la bête « c’est-à-dire, voilà… ça pourrait être nous simplement ». Il nomme ainsi l’intériorité et l’inconnu comme objets de la peur. Cette reconnaissance de l’appréhension face à son monde pulsionnel interne devient taboue au sein du groupe d’enfants. Simon sera tué quelque temps plus tard.