A résister comme ça est le nouveau recueil de Thierry Roquet, paru chez Aérolithe Editions en mai 2023.
Note sur le poète
Né en 1968 à Rennes, Thierry Roquet vit à Malakoff (banlieue Sud de Paris) depuis 2001. Il a publié plusieurs recueils et quelques livres d’aphorismes et de textes courts. Sa poésie à caractère social décrit et éclaire « le pâle ordinaire » avec une écriture nette, précise, visuelle, pleine de dérision et d’autodérision. Il affectionne les écrivains de la « Biture Generation » aussi appelés « les écrivains américains post-beat » comme Charles Bukowski, Dan Fante ou Mark SaFranko.
(Source : éditeur)
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Mon Avis
On pourrait croire, avec des a priori un peu naïfs, que le monde du travail est le prototype des sujets prosaïques, et que rien ne se prête plus mal à l’univers poétique. Mais, dans ce recueil, Thierry Roquet nous prouve le contraire de la manière la plus éclatante. Et, en effet, le monde du travail se montre à travers ces textes comme un sort inéluctable, une absolue nécessité, où l’on côtoie des gens de toutes sortes (souvent pour le pire mais aussi, quelquefois, pour le meilleur), où la mélancolie se mêle à la dérision, et où l’esprit critique le plus lucide débouche sur une belle et réelle émotion.
Dans ces poèmes, Thierry Roquet évoque les multiples situations auxquelles les salariés peuvent être confrontés tour à tour : travail de force sur un chantier, accident du travail, entretiens d’embauche, emploi de bureau répétitif, crainte d’un licenciement, discussions entre collègues près de la machine à café ou pendant la pause-repas, anxiété d’un trajet en voiture pour se rendre au travail, réaction face à une promotion, conversation animée avec son épouse lorsqu’il se retrouve au chômage, etc.
Par petites touches, il dresse un tableau assez vaste et peu reluisant de notre monde salarial contemporain mais il nous invite à y résister. Loin de s’arrêter à de sombres constats ou de céder au désarroi, le poète nous propose ici un recueil lumineux, énergique, courageux, et non dénué d’une certaine espérance.
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Page 8
Emission de radio
J’ai pris ma voiture pour aller
là-bas comme chaque matin
dans les embouteillages
j’écoutais la radio j’voulais d’la musique
joyeuse qui me donne envie de continuer à
rouler – même lentement – puisque
je n’avais aucune raison apparente
de me sentir pressé d’arriver là-bas
sauf que dans les embouteillages
ce matin-là j’ai écouté une émission
sur le malaise au travail et j’avais beau vouloir
changer de station
c’était plus fort que moi
ça me rappelait que ma tranquillité
d’antan avait un quelque chose
de fracassé et ma présence là-bas
émettait de plus en plus de signaux
de détresse perceptibles.
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J’ai échappé de peu à l’enfer
Au tout début de l’entretien
le décor m’impressionne
la hauteur de la pièce
la moquette rouge
l’imposant bureau
le tableau de maître
sur le côté
(un vrai, un faux ?)
les manières de gentleman
anachronique
de mon interlocuteur
quand il tient mon curriculum vitae
entre ses mains soignées
puis très vite
tout ce vernis
outrancier
pour un CDD de 2 mois
non renouvelable
payé le Smic
(ou à peine plus)
me gonfle
à la septième minute de l’entretien
je demande
où sont les toilettes
puis je descends vite fait
les escaliers
trop luxueux
avant de me retrouver
sur le trottoir
où j’aspire un bon bol d’air
près d’une crotte de clébard.
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