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Au pays de la "Yougonostalgie"

Par Tatiana Yansor

Tanja Lucic, rescapée d’un Zagreb à feu et à sang, accepte un poste à l’université d’Amsterdam en tant que professeur de slavistique et de littérature de l’ex Yougoslavie. Abandonnée par son compagnon, elle échoue dans un studio en sous-sol près du quartier Rouge. La plupart des étudiants exilés de Tanja travaillent au noir dans une entreprise de latex pour sado-masos qui fournit les sex-shops du quartier, au nom provocateur : « Le Ministère de la Douleur ».

Ses cours n’auront rien de classique. A ses élèves Bosniaques, Croates et Serbes, expatriés comme elle, à peine plus jeunes, elle propose de partir à la recherche de leur « yougonostalgie ». Chacun devra livrer par écrit les souvenirs puisés dans leur enfance, leur langue, leur culture, leur spécificité. Chacun devra fouiller dans le vécu intime et douloureux de cette guerre qui a fait s’entredéchirer leur pays.

La brutale horreur de ce qui s’est passé en Yougoslavie hante ce texte en permanence. Dubravka Ugresic dévoile avec lucidité, sans pathos, comment à Amsterdam, ville d’eau où ils ne se sentent pas chez eux, certains de ses personnages s’en sortent, et comment d’autres, au contraire, sombrent à jamais. Est-il possible d’être heureux, de se reconstruire, de faire confiance à nouveau, d’avoir une identité nationale quand on vient d’un pays pulvérisé, éclaté, fragmenté ?

Les cours de Tanja sont foisonnants, psychologiquement périlleux et ouvrent d’anciennes blessures. Un des élèves de Tanja se suicide, une plainte est déposée et son professorat n’est pas renouvelé. Un autre de ses élèves, l’inquiétant Igor, la suit jusqu’à chez elle, et dans un face à face insoutenable, lui demande pourquoi elle les a obligés à se souvenir. La solution n’est-elle pas d’oublier pour toujours, afin de pouvoir enfin survivre ?

« Voici un écrivain à suivre. Et à chérir, » a déclaré  Susan Sontag à propos de Dubravka Ugresic, lors de la publication de Le Musée des Redditions sans condition   (Fayard, 2004). L’auteur y explorait déjà ses thèmes de prédilection : l’exil, la mémoire, la solitude, engendrés par l’éclatement de la Yougoslavie. Mais c’est avec ce nouveau livre, sombre et puissant, que Dubravka Ugresic, née en 1949, s’impose comme une des voix les plus importantes de la littérature contemporaine des pays de l’est.

Tatiana de Rosnay (JDD du 17/8/08)

Le Ministère de la Douleur, de Dubravka  Ugresic

Traduit du serbo-croate par Janine Matillon

Albin Michel, 328 pages, 22€

Site de l'auteur :

http://www.dubravkaugresic.com/


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