J'ai démarré cette édition du festival par un séjour en 1663.
La comédienne Salomé Villers s'est emparée avec brio du roman de Jean Teulé pour ce spectacle mis en scène par Étienne Launay. On nous raconte l'histoire drôle et tragique de Louis-Henri de Pardaillan, alias le Marquis de Montespan, alias le cocu le plus célèbre de France. Sa femme Françoise de Rochechouart s'étant attirée, bien malgré elle, les faveurs de... Louis XIV. Salomé Villiers, Benjamin Bollen et Benjamin Tholozan nous la racontent en campant un nombre infini de personnages avec talent, énergie, fougue. Impossible de m'ennuyer une seule seconde, pendue que j'étais aux lèvres de ces trois magiciens du rythme, du changement d'apparat, de l'expressivité, aussi.
Les jeux de lumières sont, quant à eux, extrêmement ingénieux. Projections de couleurs et de motifs sur rideau suffisent à laisser présager d'une menace ou d'une belle augure, à indiquer l'intérieur d'une auberge, les effets de lumière à nous faire apparaître les personnages comme arrivant de loin...
Une totale réussite !
Crédit photo : Cédric Vasnier
17h50 : Les Téméraires au Théâtre des GémeauxQui sont donc ces Téméraires dont Avignon parle tant ? Il s'agit d'Émile Zola (incarné ici par Romain Lagarde) et George Méliès (Stéphane Dauch). Deux hommes qui, chacun avec leurs armes, l'écriture et le cinéma, vont prendre fait et cause pour le capitaine Dreyfus dont ils sont persuadés de l'innocence. Nous sommes en 1894, l'affaire scinde la France en deux. Zola vient de terminer sa saga des Rougon-Macquart et s'apprête à écrire son roman sur Rome, tandis que sa maîtresse, Jeanne, est enceinte de son premier enfant. Méliès travaille dans son studio de cinéma et voit dans cette affaire la matière idéale pour le premier film de 10 minutes jamais réalisé au monde. L'un est entouré de sa femme, Alexandrine et de son éditeur, Charpentier. L'autre, de la fière équipe d'un studio qui tourne à plein régime, et qui va faire appel à des comédiens en herbe pour tourner ce film - cela donne lieu à des scènes de jeu dans le jeu absolument exquises. Tout, dans cette pièce, est jubilatoire. Parlons de la mise en scène virevoltante de Charlotte Matzneff, de ce rythme fou qui ne laisse aucune place à l'ennui, nous emmenant tantôt chez Zola, tantôt dans le studio de Méliès. Nous suivons les deux processus de création avec la même passion. Les comédien•ne•s (celles et ceux non encore cité.es : Sandrine Seubille, Barbara Lamballais, Armance Galpin, Antoine Guiraud, Thibault Sommain) se fondent dans leur rôle (souvent multiples) à la perfection. Un magnifique et instructif coup de projecteur sur cette période noire de l'histoire, sur le courage de deux hommes, écrit avec subtilité par Julien Delpech et Alexandre Foulon. Saluons aussi la qualité des décors et des accessoires (la caméra de Méliès), sans oublier la beauté des costumes, qui viennent renforcer cette impression de voyage dans le temps. Je connaissais l'engagement de Zola, mais pas celui de Méliès. Merci aux téméraires auteurs d'avoir mis en lumière cet autre combat. Coup de cœur !
Crédit photos : Grégoire Matzneff
21h30 : Les enfants du paradis à la Chapelle des ItaliensLaëtitia Richard signe-là une ambitieuse adaptation d'un film de la plus pure poésie, que tout•e amoureux•se du cinéma et du théâtre a forcément déjà vu au moins une fois dans leur vie. Cela faisait un moment que la metteuse en scène rêvait de s'attaquer à ce chef d'œuvre et le défi était de taille. Il est pour moi relevé haut la main : nous revivons avec bonheur la rencontre de Garance (Anne-Laure Maudet) et Frédérick (Florian Guerin), l'effervescence de la vie d'artistes, les belles et les mauvaises rencontres, les pantomimes de Baptiste (Victor Bourigault). On est transportés du Théâtre des Funanbules du Grand Théâtre, et dans les deux cas, on s'y croirait. On a le sourire aux lèvres du début à la fin, tant c'est charmant, enlevé et beau.
Pour parfaire l'illusion, citons les éléments de décors (tels que ces boîtes en bois teintes en rouge et jaune, ce ce grand croissant de lune), la musique qui fait résonner des notes d'accordéon, les costumes qui offrent aux personnages des déguisements de choix pour leur rôle de Pierrot ou de Monsieur Royal. Les 8 comédiens (Anne-Laure Maudet, Florian Guérin, Freddy Viau, Dimitri Michelse/Victor Bourigault, Clémence Viandier, Régis Romélé, Marion Saussol et Martin Verschaeve/Luc Franquine) virevoltent entre tous les personnages qu'ils incarnent (pas moins d'une cinquantaine) sans que les spectateurs ne soient jamais perdus. La liesse s'invite, autant que la mélancolie, dans cette jolie fête. Pas impossible qu'ils vous manquent, ces personnages, quand ils auront repris leur vie après leur ultime réverrence. Et vous, celui de la réalité.