J’ai beaucoup de mal à alimenter le blog, pour des raisons de temps d’abord, mais aussi par peur de la redondance des informations, et parce que je voudrais éviter de faire de simples revues des thés que je sélectionne. Néanmoins, il est temps de faire une revue globale après la saison des récoltes de printemps 2023.
On peut dire que cette saison a été difficile. Les conditions météo auront été responsables d’une croissance par à-coup des jeunes pousses et feuilles des théiers. Il en résulte globalement une saison aux faibles quantités. Les récoltes ont aussi été très précoces, des records ont été battus un peu partout, en plaine comme en montagne. Si l’on peut dire que les zones hâtives ont plutôt donné de la qualité, les zones plus tardives ont souffert de récoltes plus inégales, la faute en partie à des épisodes localisés de gèle, n’améliorant pas non plus la question des quantités.
Récoltes hâtives ne signifie pas forcément toujours arrivée rapide des thés dans les boutiques. En particulier dans le cas de producteurs procédant eux-mêmes au raffinage du thé brut aracha, ceux-ci ne peuvent souvent pas s’atteler à cette tâche avant la toute fin des récoltes de printemps. Plus rarement, ils sont pris de suite par les deuxièmes récoltes avant de pouvoir enfin faire le raffinage, c’est ainsi que les thés noirs peuvent prendre du temps à arriver en vente, leur raffinage n’étant pas traité avec celui des sencha.
Cette question du raffinage est évidemment cruciale, car elle est en principe l’apanage des grossistes. Si certains mettent aussi leur savoir-faire à disposition des producteurs (certains choisissent de faire faire ce travail par des grossistes pour revendre eux-mêmes le thé raffiné) ou des détaillants, qui comme moi, sourcent certains thés directement à l’état de thé brut aracha, il est évident qu’ils traiteront en priorité leurs propres thés. C’est ainsi qu’il m’a fallu attendre début août pour avoir raffiné le sencha de Murakami que j’achète en aracha.
Néanmoins, pour moi, le sourcing de thé en aracha est très intéressant, cela me permet d’avoir des thés complétement originaux. C’est le cas de mes thés de Asamiya, Tosa, Umegashima et d’autres encore. Mais la limite à cette méthode est évidemment la question du raffinage, je dois trouver quelqu’un pour le faire pour chacun de ces thés, à défaut de posséder l’infrastructure nécessaire. C’est ainsi que les détaillants qui fonctionnent de cette manière restent très rares.
Je rappelle que le raffinage du thé consiste grosso-modo en un trie des tiges, de la poudre, des feuilles trop grosses, etc, un éventuel calibrage des feuilles, et enfin, phase essentielle, d’une torréfaction finale (des 5% d’humidité restante dans le aracha, on passe à 3% environ) qui selon la méthode peut changer radicalement le visage d’un thé. Une torréfaction faible donnera un thé encore très vert, végétal, alors qu’une torréfaction forte donnera un thé plus sucré, fruité, empyreumatique.
Pour ma part je peux aussi parfois faire faire sur mesure un thé fini par un producteur, comme c’est le cas avec le Yamakai de Yabe depuis plusieurs années, ainsi que cette année le Yabukita de Yabe, que je demande sans ombrage. Ou bien le Sayama-Kaori de Sayama, que j’ai demandé en asamushi, fabriqué sur une petite ligne de production de 35 kg (avec une ligne de 35 kg, on obtient environ 5-6 kg de thé brut, * Cf. Note 1). Il y a une certaine prise de risque. Il est difficile de refuser un thé que l’on a commandé ainsi même s’il n’est pas comme on l’avait rêvé.
Voilà qui me permet donc justement d’enchainer sur les thés de Yabe. Au sein de Yame, Yabe est un village où les plantations se situent à 500-600 m d’altitude, ce qui est plutôt haut dans le contexte japonais. Les sencha y sont de qualité, et il est ainsi dommage pour voir que tout y est ombré comme c’est la norme à Yame, et même à Kyûshû plus globalement. Si cela fait plusieurs années que je commande un Yamakai non-ombré (l’ombrage fait perdre à ce cultivar tous ses arômes), cette année j’ai sauté le pas et commandé aussi un Yabukita. Après tout, quand on aime vraiment le sencha on ne peut qu’admirer la richesse de Yabukita, est en tant que standard présent partout, il est le meilleur thé pour se donner idée du travail d’un producteur. Avec ses intenses arômes lactés aux notes de framboise, le Yamakai est cette année encore merveilleux. Le Yabukita ne m’a pas déçu non plus. Robuste mais pas agressif, il peut sembler simple au premier abord, mais la richesse qui se développe dans la longueur est exceptionnelle. Il fait partie de ces thés, pas si communs, qui me semblent plus délectable encore sur la deuxième infusion.
Même combinaison à Asamiya, Yamakai, puis cette année, sourcing au même producteur d’un Yabukita également.
Peu connu du grand public, recherché des connaisseurs, Asamiya se situe dans la commune de Shigaraki, dans le département de Shiga. Non loin de là, l’autre côté des montagnes au sud-ouest, c’est à dire de l’autre côté de la frontière avec le département de Kyôto, se trouve Wazuka, première région productrice du thé de Uji (* Cf. Note 2), qui sans aucun doute fait beaucoup d’ombre à Asamiya. Malgré la proximité, le relief et la géographie rendent cette zone plus fraiche, avec des récoltes plus tardives. A Asamiya, contrairement à Uji, on fait surtout de vrais sencha sans aucun ombrage. Avec ce Yamakai, on a atteint des sommets, c’est une merveille, d’une grande douceur et très parfumé avec ses fameux arômes de framboise, il est selon moi le plus typiquement Yamakai de tous ceux que je propose, il en tire aussi le meilleur. Ainsi, je ne pouvais qu’attendre beaucoup du Yabukita, et il m’a donné encore plus. Je le conseille aussi bien aux purs débutants qu’aux connaisseurs chevronnés. Si vous n’aimez pas ce sencha, c’est simplement que vous n’aimez pas le sencha.Le Kôshun, d’un autre producteur lui, est cette année encore un délice.
On remonte encore vers le nord-est du Japon, pour évoquer bien évidemment les thés de Umegashima. Comme Tamakawa ou Tochisawa par exemple, Umegashima est l’une des zones de production du thé de Hon.yama. Hon.yama étant grosso-modo la grande aire de montagnes au nord de la ville de Shizuoka, dans laquelle s’écoulent le fleuve Abe-gawa et la rivière Warashina-gawa. Umegashima est la zone la plus en amont du fleuve Abe. Malheureusement, la désertion de la production du thé y est comme ailleurs dans ces zones de montagne particulièrement inquiétante.
Au sein même de Umegashima on trouve bien sûr de plus petites localités. J’ai commencé il y a plusieurs années à sourcer des thés bruts de Umegashima après qu’on m’ait présenté le producteur d’une vieille plantation de théiers zairai (théiers indigènes anciens issus de graines, tous différents donc, à contrario des cultivars obtenus pas bouturages) à Nyûjima. De là j’ai pu étendre mon champ d’action à d’autres plantations, mais dont les feuilles sont traitées dans la petite usine de Nyûjima, sur une vieille ligne de 35 kg. Les thés y sont peut-être moins sexy que ceux de Asamiya, mais pourtant ils sont d’une grande richesse, robuste, profond, avec les arômes particuliers de cette région.
La nouveauté cette année, c’est le Kurasawa de Shinden. Il y en a très peu, à peine de quoi faire une fournée sur la ligne de 35K, mais le voilà tout de même. Parent de Kôshun, Kurasawa (Shizu-7111) est très rare. Il possède un parfum difficile à définir mais bien particulier. Celui-ci est d’une robustesse exceptionnelle.
Autre nouveauté, cette année j’ai décidé de faire faire une torréfaction plus forte sur le zairai, de Nyûjima pour y avoir des arômes plus sucrés, tout en gardant le corps typique de ces théiers indigènes qui peuvent manquer de caractéristiques claires, rendant ainsi une torréfaction faible moins justifiée que sur un cultivar. J’espère que ce changement cette année vous plaira. Le Yabukita de Nyûjima est aussi présent cette année, en revanche j’ai fait l’impasse sur le Yabukita de Fujishiro pour me tourner vers celui de Tomochi, à 800 m d’altitude, qui vient ainsi accompagner le Sayama-kaori de cette même localité. Ce Yabukita me semble cette année bien représentatif des arômes de Umegashima, et le Sayama-kaori montre bien la typicité de ce cultivar bien trop sous-estimé.J’avais justement fait faire à Sayama un Sayama-kaori en futsumushi, soigneusement sur une ligne de 35K. Bien évidemment les quantités étaient faibles, ayant commandé seulement une « fournée », et ce thé est déjà épuisé. Et pour cause, quels parfums sublimes et étonnants. Je n’avais jamais vu un Sayama-kaori aussi aromatique. Ma seule inquiétude, la même qualité sera-t-elle reproduite l’an prochain ?
Autre jolie surprise, le tamaryokucha de Ureshino cultivar Benifûki. Depuis plusieurs années, je propose le kama-iri cha benifûki de ce producteur de Ureshino, mais c’est la première fois que j’ai pu l’avoir en tamaryokucha étuvé. Pas d’ombrage, et étuvage standard bien sûr. C’est justement qu’il fasse des tamaryokucha sans ombrage et pas fukamushi qui me plait chez ce producteur. Sans astringence excessive, de benifûki est sec et léger, raffiné avec ses arômes évoquant le pamplemousse, étonnants sur un benifûki. Assez différents des autres tamaryokucha de ce producteur, voilà un thé étonnant et agréable.
Rapidement je voudrais présenter un nouveau jeune potier dans la « collection », Nakagawa Takanori. Né en 1981, il est actif à Tokoname, et travail sous la direction de Konishi Yôhei. Comme ce dernier, ces théières sont cuites au feu de bois en four anagama. A la différence d’un autre élève de Konishi Yôhei, Shiraiwa Taisuke, Nakagawa Takanori n’est pas franchement très productif, mais ses théières sont d’une très grande qualité, pour des prix vraiment (trop) bas.
Pour finir je voudrais aborder un point tout à fait différent, n’ayant pas trait direct avec mon activité, mais qui me semble important de signaler. Depuis octobre 2022, le Japon a rouvert ses portes au tourisme de masse. L’afflux de touristes étrangers est bien sûr une aubaine pour l’économie du Japon. Au printemps en particulier nous avons vu une quantité phénoménale de touristes occidentaux prendre d’assaut les régions productrices de thé et de théières accessoirement. Je suis persuadé que les choses se passent à merveille la plupart du temps, mais j’ai eu pas mal de retour sinon négatifs, tout au moins embarrassés de producteurs voyant débarquer des touristes sans RV ni préavis. Certains peuvent avoir en place des structures adéquates (ceux possédant leur boutique par exemple) avec le personnel pour l’accueil de visiteurs, mais la plupart du temps, ce n’est pas le cas. Comprenez que le printemps est une saison cruciale pour eux, beaucoup y jouant leurs revenus de l’année (les récoltes suivantes ne rapportant pour ainsi dire rien). L’aire de rien, dans certaines zones les plantations elles-mêmes ne sont pas 100% sûres (il y a les tiques, les serpents, les frelons surdimensionnés, etc), les usines aussi peuvent comporter des risques. Et tout problème se répercutera forcement sur le maitre des lieus, risquant d’affecter considérablement son travail.
Le minimum à respecter dans le cas d’une éventuelle visite et de bien s’assurer que cela est possible et ne dérangera pas, bien faire comprendre au producteur qu’il peut refuser. Ensuite seulement, prise de RV. Aussi, c’est à vous de vous assurer de votre itinéraire et transport (taxi, location de voiture, etc). Je ne veux évidemment pas dire qu’il ne faut pas y aller, seulement de respecter un minimum de bienséance. Le mieux étant toujours de chercher des organismes organisant ce type de visite.
Bien sûr, comme toujours je vous réserve encore tout un tas de nouveaux thés pour le reste de la saison. En septembre et octobre arriveront les nouveaux gyokuro et matcha, des thés de Sayama et Sashima, etc.
Notes:
1. Ligne de production
Une ligne classique se compose de plusieurs machines :
Mushi-ki – hauchiki – sojûki – jû.nenki – chûjûki – seijûki – kansôki
(hauchiki n’existe pas sur les lignes de 35 kg et n’est pas toujours présente sur les 60K. Elle peut être remplacée par une sojûki supplémentaire). Au bout de ce process nous obtenons donc le thé brut aracha.
Les lignes de 35 k sont très rares, aujourd’hui, les 18K encore plus. On trouve encore beaucoup de 60K. Ensuite nous avons 90K (peu commun me semble-t-il), 120K puis 240K.
2. Thé de Uji (Uji-cha)
Uji en soit n’est pas une très importante aire de production de thé, mais le nom est resté en tant que centre historique de la culture du thé. Non, loin c’est plutôt à Wazuka, à Uji-Tawara ou encore Minami-Yamashiro que l’on produit beaucoup de thé. Ainsi, « thé de Uji » désigne du thé produit dans le département de Kyôto. De plus, si un blend contient plus de 50% de thé de Kyôto, il peut aussi contenir du thé de Shiga, Mie et Nara, à condition que cela soit signalé sur l’emballage.