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« Nous allions à l’aventure par les champs et par les grèves »

Publié le 28 août 2023 par Adtraviata
« Nous allions à l’aventure par les champs et par les  grèves »

Quatrième de couverture :

En 1847, Gustave Flaubert et son ami Maxime du Camp partent de Paris vers l’ouest pour un voyage de plusieurs semaines… De Vannes à Fougères, à pied, en diligence ou en canot, ils arpentent landes et grèves, visitent chapelles et monuments, dînent à l’auberge, participent aux fêtes… puis, chacun à son tour, racontent leur périple. Leur récit se lit aujourd’hui comme un guide vivant et poétique des hauts lieux de la Bretagne.

La lettre et la plume, une collection qui marie littérature et histoire au travers d’écrits intimes (mémoires, correspondances, journaux, chroniques…) d’une grande qualité littéraire.

C’est au château de Combourg (demeure de la famille Chateaubriand) que j’ai découvert ce récit de voyage. La Bretagne, ça vous gagne (et Flaubert aussi finalement), pour parodier un slogan publicitaire, aussi ai-je entrepris cette lecture après mes vacances… en Bretagne.

« Nulle route, nul sentier ne s’ouvrait devant nous; nous allions à l’aventure par les champs et par les grèves, trouvant notre chemin comme nous le pouvions, sautant de prairie en prairie, marchant dans ces terrains où nos pieds enfonçaient, écrasant les joncs qui criaient sous nos pas et rencontrant quelques troupeaux de maigres vaches conduits par des femmes déguenillées qui nous regardaient curieusement passer. »

A nos yeux de 2023, ce voyage paraît extraordinaire : pour nos deux Normands, la Bretagne est un vrai dépaysement et ils vont la parcourir en bateau, en voiture à cheval et surtout à pied. Ils sont jeunes (Flaubert a 26 ans et son ami Du Camp 25 – ne pas se fier à la photo de Flaubert sur la couverture) et pleins d’énergie, de curiosité, capables de supporter de mauvais lits et de mauvais repas mais appréciant grandement une hospitalité de qualité. Ils partiront du sud de la région, Vannes et Auray, Carnac, Belle-Ile en Mer, et remonteront vers le Finistère, par Quimper, Concarneau, la Pointe du Raz, Brest, Fouesnant, Douarnenez, les monts d’Arrhée, Saint-Brieuc, Saint-Malo et Cancale, Dol-de-Bretagne, Combourg, Dinan et j’en passe, pour terminer à Fougères. Les deux compères vont nous conter et nous décrire par le menu leurs visites d’églises (très nombreuses – et, malgré tout mon respect pour les églises, un peu ennuyeuses à la longue) mais aussi de vestiges celtiques et de châteaux pour la plupart en ruines, leur tour pédestre de Belle-ïle en quatorze heures (quel courage !), des épisodes de « folklore » local comme les processions et les pardons, un spectacle de cirque ambulant, les quartiers chauds de Brest, une folle et sauvage équipée à la Pointe du Raz, leur recherche émouvante des traces de Chateaubriand à Combourg et sur le Grand Bé à Saint-Malo, et bien d’autres choses.

Il faut avouer que Flaubert et Du Camp ont sans doute un a priori sur les Bretons, surtout ceux du Sud et du Finistère, qu’ils estiment très pauvres et bas du plafond. Il est vrai que la Bretagne à l’époque était une région pauvre et très indépendante et il faut attendre les Côtes-d’Armor et l’Ille-et-Vilaine pour trouver plus d’aisance financière, n’empêche qu’ils expriment parfois un mépris surprenant. Ceci dit, j’ai apprécié leur sens de l’observation et la finesse de leurs descriptions (j’ai bien aimé leur critique des alignements de Carnac). Ils aiment marcher, voyager mais aussi prendre leur temps et se reposer, ils aiment la nature, « aller à l’aventure, par les champs et par les grèves » et certaines de leurs remarques valent encore pour notre époque.

« Nous comprîmes donc parfaitement l’ironie de ces granits qui, depuis les druides, rient dans leurs barbes de lichens verts à voir tous les imbéciles qui viennent les voir. Les savants ont passé leur vie à chercher ce qu’on en avait pu faire ; et n’admirez-vous pas d’ailleurs cette éternelle préoccupation du bipède sans plumes de vouloir trouver à chaque chose une utilité quelconque ? »

« Il n’y a pas de fleurs dans la campagne, mais il y en a dans l’église ; on est pauvre, mais la Vierge est riche ; toujours belle, elle sourit pour tous et les âmes endolories vont se réchauffer sur ses genoux, comme à un foyer qui ne s’éteint pas. »

« Mais le paysan breton repart à jeun, il eût été trop cher de manger dehors ; il va retrouver sa galette de sarrasin et sa jatte de bouillie de maïs cuite depuis huit jours dont il se nourrit toute l’année, à côté des porcs qui rôdent sous la table et de la vache qui rumine là sur son fumier dans un coin de la même pièce. »

« Nous voulions jusqu’au bout abuser de notre plaisir et le savourer sans en rien perdre. Plus légers que le matin, nous sautions, nous courions sans fatigue ; sans obstacle, une verve de corps nous emportait malgré nous et nous éprouvions dans les muscles des espèces de tressaillements d’une volupté robuste et singulière. Nous secouions nos têtes au vent, et nous avions du plaisir à toucher les herbes avec nos mains. Aspirant l’odeur des flots, nous humions, nous évoquions à nous tout ce qu’il y avait de couleurs, de rayons, de murmures, le dessin des varechs, la douceur des grains de sable, la dureté du roc qui sonnait sous nos pieds, les altitudes de la falaise, la frange des vagues, les découpures du rivage, la voix de l’horizon ; et puis c’était la brise qui passait, comme d’invisibles baisers qui nous coulaient sur la figure, c’était le ciel où il y avait des nuages allant vite, roulant une poudre d’or, la lune qui se levait, les étoiles qui se montraient. »

« Saint-Malo, bâti sur la mer et clos de remparts, semble, lorsqu’on arrive, une couronne de pierres posée sur les flots dont les mâchicoulis sont les fleurons. Les vagues battent contre les murs ou, quand il est marée basse, déferlent à leur pied sur le sable. (…) Le tour de la ville par les remparts est une des plus belles promenades qu’il y ait. Personne n’y vient. On s’assoit dans l’embrasure des canons, les pieds sur l’abîme. On a devant soi l’embouchure de la Rance, se dégorgeant comme un vallon entre deux vertes collines, et puis les côtes, les rochers, et partout la mer. Derrière vous se promène la sentinelle dont le pas régulier marche sur les dalles sonores.
Un soir nous y restâmes longtemps. La nuit était douce, une belle nuit d’été, sans lune, mais scintillant des feux du ciel, embaumée de brise marine. La ville dormait, les lumières, l’une après l’autre, disparaissaient des fenêtres, les phares éloignés brillaient en taches rouges dans l’ombre qui sur nos têtes était bleue et piquée en mille endroits par les étoiles vacillantes et rayonnantes. On ne voyait pas la mer; on l’entendait, on la sentait, et les vagues se fouettant contre les remparts nous envoyaient des gouttes de leur écume par le large trou des mâchicoulis. »

Gustave FLAUBERT et Maxime DU CAMP, « Nous allions à l’aventure, par les champs et par les grèves » Un voyage en Bretagne (extraits), Le Livre de poche, Collection La Lettre et la Plume, 2012

2023 sera classique chez Blandine Vivrelivre et Nath Sci (pour une fois je suis dans le thème du mois : récits de voyage)


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