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Selma Guettaf : Plongeon et autres sauts

Par Gangoueus @lareus
Selma Guettaf : Plongeon et autres sauts

J'ai lu l'an dernier un roman de l'écrivaine algérienne Selma Guettaf, Les hommes et toi. Un texte complexe sur le sujet d'un inceste présumé et les relations complexes au sein d'une fratrie. Avec Plongeon et autres sauts, c'est le thème du suicide, symbolisé par un plongeon...

Autant dire que Selma Guettaf nous éloigne des sujets militants si présents dans les lettres africaines pour nous immerger dans l'intime, dans les errements d'un écrivain qui vient de mettre un terme à sa vie. Et qui nous la raconte. Qui rectifie le narratif de celles et ceux qui ne savent rien de son existence mais qui tentent de poser des mots pour dire sa vie. Il s'avère que j'ai commencé en parallèle Désert américain de l'Américain Perceval Everett. J'ignorais que les deux romans avaient la même rampe de lancement : le suicide...

Le mort parle donc. Un jeune écrivain plein de doutes, avec un potentiel pourtant identifié par Elodie son éditrice. Il est rempli d'insécurité. Elle est une femme de pouvoir, elle façonne des trajectoires littéraires. Ils sont amants, au rythme imposé par Elodie. Il attend beaucoup plus de cette relation. Il expose ses fragilités. Il est passé outre-tombe, pourquoi les taire ? Elodie est le parfait prétexte pour Selma Guettaf lui permettant d'aborder le monde du livre. Par exemple, le mort raconte le rapport qu'il a eu à la promotion de son travail et à la critique littéraire :

" Certains critiques, dépourvus de sensibilité, étriquent le livre, forcent les interprétations, soulignent les récurrences, les failles, avec une telle violence ! Ils oublient la créativité, l'énergie que ça demande. Ils vous détruisent et détruisent le texte " (p.34).

La conception d'une oeuvre. La compétition du milieu, l'exercice du pouvoir par celle qui le détient. La relation entre le narrateur et Elodie nous donne un premier aperçu de son rapport délicat aux femmes.

Avec sa soeur qui vient squatter chez lui après une rupture, c'est un autre type de lien. Il s'agit de sa grande soeur. Elle est artiste. Avec elle, c'est la fragilité du créateur qui nous est exposée. Sans revenu stable, qui erre ça et là, et continue de créer. C'est aussi une émulation saine ou malsaine, c'est selon. D'où tire son inspiration, un auteur ? Ne projetons-nous pas trop une supposée influence sur notre entourage. La situation est conflictuelle. L'artiste a besoin de son espace. Ce dernier est réduit par une occupation forcée au nom des solidarités familiales.

Avec Emma c'est encore différent. Elle est bédéiste. Elle est comme une muse pour lui. Il se sert d'elle à son insu pour construire une oeuvre littéraire. Le vampirisme des écrivains croqué par Selma Guettaf. Mais le jeu est plus complexe. Emma n'est pas simple. Elle aussi, à sa manière, utilise son amant, consciente de la fascination qu'il entretient toujours pour son éditrice. Le jeu de la mise à nu. Ce don malsain que possède les écrivains de cocher vos tares et vos lumières pour nourrir le voyeurisme des lecteurs. Emma dit " Je me souviens qu'en parcourant ton manuscrit, instantanément je me suis dit : " Je suis morte! " (p.51). Voici une sensation de trahison qu'on peut ressentir par la perception de l'autre surtout quand elle ne correspond pas à ce que nous sommes mais ne sert qu'une supercherie dans un emballage cadeau pour faire passer la pilule. Cela nous renvoie à la vacuité du narrateur qui dans le fond ne contrôle très peu de choses et subira l'effet boomerang de sa démarche.

" J'avais énormément d'espoir pour notre relation. J'avais vraiment aimé ce que tu me présentais : tes oeuvres d'art, les ouvrages, les pièces de théâtre... Mais je n'avais pas à devenir prisonnière de ton esprit " (p.52-53). Tout cela pour arriver à la sentence suivante " Tu n'étais pas ému par la beauté. Tu n'avais aucune tendresse, aucune sincérité [...] Le dessin c'est vraiment mon truc. Tu n'avais pas compris à quel point j'étais forte là-dessus. Tu n'as véritablement rien cerné de moi " .

Selma va au plus près de l'intime du mort. La non relation avec les parents. La rupture et le rejet avec le lieu de l'enfance. Une figure cependant prédomine : le grand-père maternel, le poète paumé. Un homme un peu sauvage, décalé qui a néanmoins déposé auprès de son petit fils une forme de violence et de déséquilibre. Vous comprendrez en abordant cet ouvrage. Pourtant, serait-on se satisfaire d'une telle fin racontée avec un sourire en coin malaisant ?

On pourrait parler des nouvelles qui sont dans la seconde section du livre Autres sauts. Des ruptures. Des instances de rupture. Des rencontres fortuites. Mais je vous laisse le soin de découvrir Selma, ses maux qu'elle décrit avec des mots moins rudes que dans son livre Les hommes et toi (Apic/ Möst), une écriture portant l'ironie du mort. Faites-vous une idée.

Editions Möst, 2022, copyright photo Gangoueus


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